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Ce dimanche 7 juillet, les urnes ont déjoué les pronostics des sondeurs. Alors que la quasi-totalité des projections donnaient le Rassemblement national (RN) en tête de ces élections législatives anticipées, c’est in fine le Nouveau Front populaire (NFP) qui a remporté la plus grande mise : quelque 182 sièges, contre 168 pour la majorité présidentielle, et 143 pour le parti à la flamme.

Problème : ces résultats privent l’Assemblée nationale d’une majorité, même relative. Une configuration inédite sous la Ve République qui plonge la France dans un inconnu vertigineux. Quel gouvernement ? Pour le professeur de droit à la Sorbonne, Thomas Clay, l’arrivée d’un gouvernement de plein exercice pourrait attendre plusieurs mois, voire un an jusqu’à la prochaine dissolution, qui semble selon lui, inévitable. Entretien.

L’Express : Comme le présageaient les différentes projections, aucune majorité claire ne s’est dégagée dimanche soir. La France est-elle vraiment devenue ce dimanche soir ingouvernable ?

Thomas Clay : Je dirais plutôt que l’on devient une démocratie adulte avec des groupes qui se parlent et élaborent des coalitions. Sur le plan institutionnel c’est possible. Sur le plan politique, au vu de ce à quoi on a assisté dimanche, ça l’est beaucoup moins. Personne ne semble prêt à faire la moindre concession. Donc on va assister ces prochains jours à l’apprentissage de la concession. Ça peut prendre un an, jusqu’à la prochaine échéance de dissolution, c’est-à-dire le 9 juin 2025.

Gabriel Attal a annoncé dimanche soir qu’il remettrait sa démission au président de la République ce lundi matin. Combien de temps Emmanuel Macron a-t-il pour nommer un nouveau premier ministre après la démission de Gabriel Attal ?

Le temps qu’une coalition soit trouvée. En attendant, on aura un gouvernement qui ne fera qu’expédier les affaires courantes. Soit l’actuel reste en place, soit un gouvernement technique le remplace en attendant qu’un accord soit trouvé. Mais j’insiste sur le fait que dans les deux cas, ce gouvernement ne fera rien d’autre qu’expédier les affaires courantes : pas de Conseil des ministres, pas de nomination, pas de projet de loi, pas de représentation française à Bruxelles. Beaucoup de choses manqueront. La France serait en quelque sorte à l’arrêt. Raison pour laquelle on peut espérer qu’un certain nombre de leaders feront preuve de maturité et qu’une majorité peut se dégager, a minima une majorité de programme. On pourrait imaginer une grande coalition à l’allemande, à l’italienne, ou à la belge. En somme, comme dans tout autre pays adulte.

Le problème majeur de la France reste la tripartition de la vie politique. Dans tous les cas, cette nouvelle majorité ne pourrait être qu’une majorité de projet qui permettrait de tenir le pays une année en attendant la prochaine dissolution.

Une prochaine dissolution dans un an est-elle inévitable ?

C’est vraisemblable. S’il n’y a pas un accord politique autour d’une majorité solide, l’Assemblée nationale telle qu’elle est composée après le second tour va être de bric et de broc et va fragiliser le pays, parce qu’elle ne pourra rien projeter. Donc je vois mal comment elle pourrait tenir plus d’un an. Et vous savez, un an, c’est déjà très long dans ce type de configuration…

Comment se traduirait dans les faits une coalition ? Qui serait par exemple nommé Premier ministre ?

Il faudrait une personnalité consensuelle qui soit l’épicentre de cette majorité. Aujourd’hui personne ne se dégage, c’est évident. Après il y a des gens auxquels on ne pense pas forcément mais qui pourraient convenir. Pierre Moscovici par exemple. Un social-démocrate pourrait réunir.

Quelles sont les options à disposition d’Emmanuel Macron à l’heure actuelle ?

Il n’a plus aucune option. Je pourrai vous dire, au détour d’une formule, qu’il a commencé Jupiter et qu’il finit René Coty. Il n’a plus aucune marge de manœuvre. Il va devoir choisir un Premier ministre, mais dans les faits il va se le faire imposer. S’ouvre aujourd’hui une période de discussions entre les groupes parlementaires pour tenter de trouver un Premier ministre. Une fois qu’ils auront un nom, ils l’imposeront à Emmanuel Macron. À la condition évidemment que ce nom soit acceptable. On n’imagine pas un Jean-Luc Mélenchon nommé Premier ministre par Emmanuel Macron.

En ce qui concerne la nomination du Premier ministre, la Constitution semble pourtant laisser les mains libres au président de la République…

Certes, mais il y a une réalité politique derrière. Emmanuel Macron ne peut pas nommer qui il veut. Il doit nommer quelqu’un dont il pense qu’il aura la majorité au Parlement. Ce qui ne laisse pas énormément de marge de manœuvre. C’est une question de rapports de forces politiques. Le travail du président de la République consiste en la nomination d’un Premier ministre qui sera accepté par l’Assemblée nationale.

Quelle est la solution la plus simple à mettre en place : un scénario à l’allemande, à savoir un gouvernement de grande coalition ou un scénario à l’italienne, avec la nomination d’un gouvernement technique ?

La différence est très importante : le gouvernement technique expédie les affaires courantes. La grande coalition gouverne et a le soutien du Parlement. Donc évidemment, la grande coalition est plus démocrate, mais c’est très difficile à mettre en œuvre car cela implique que la Ve République devienne enfin une démocratie adulte. Mais au vu de ce qui a été dit dimanche soir, ça n’en prend pas le chemin.

Mettons qu’Emmanuel Macron fasse le choix “le plus démocratique”, et demande aux parlementaires de trouver un accord de coalition. Que se passe-t-il en attendant ? Les ministres resteraient en place jusqu’à ce qu’une alliance soit scellée ?

Dans ce cas, Emmanuel Macron refuserait la démission de Gabriel Attal. Les ministres resteraient donc en place, mais ne pourraient que gérer les affaires courantes et les politiques initiées. Ce, en attendant qu’un nouveau gouvernement soit nommé.

Et si aucun accord n’est trouvé d’ici à l’automne, lorsqu’il faudra voter le budget ?

Il faut savoir que la France tourne administrativement parlant même en cas d’absence de majorité ou de gouvernement de plein exercice. La rentrée scolaire aura lieu. Les fonctionnaires seront bien payés fin juillet, etc. Pour ce qui est de la loi de finances, un dispositif est prévu en cas d’absence de budget voté au Parlement : on reproduit un douzième du budget antérieur chaque mois. Autrement dit, en janvier 2025, on appliquera un douzième du budget de 2024, etc.

Si une coalition de gauche finissait par émerger, cela rendrait donc difficile l’application du programme sur lequel se sont fait élire les députés NFP ?

Ce serait impossible. Par ailleurs, lorsque Jean-Luc Mélenchon déclare “nous appliquerons le programme du NFP, tout le programme, rien que le programme du NFP”, il rend impossible son accession au pouvoir. Il le fait exprès. Car personne en dehors de NFP ne peut accepter ce programme. Raison pour laquelle je ne suis pas optimiste sur les chances de voir émerger une grande coalition. En outre, Jean-Luc Mélenchon et ses camarades de LFI prennent le risque que leurs alliés rejoignent une coalition dont le centre de gravité serait plus au centre.

Au sujet du Rassemblement national, peut-on ostraciser un parti qui a obtenu plus de 140 sièges et a rassemblé 8,7 millions de Français ?

Il y a un risque en effet. En restant en marge du pouvoir, le RN continuera à dénoncer le fait qu’on l’empêche d’arriver aux responsabilités, ce qui lui ouvrira un boulevard pour 2027.

L’abrogation de la réforme des retraites est-elle vraiment possible dès cet été ? Ne laissera-t-elle pas un vide juridique dans l’attente d’une nouvelle loi ?

L’ancien régime s’appliquerait, mais très honnêtement, je doute qu’elle ne soit abrogée. Tout d’abord, ce serait très compliqué, et aucun gouvernement n’aura la latitude de le faire. Je n’y crois pas un seul instant. C’était une promesse de campagne. Ensuite, même si le NFP arrive à faire nommer un Premier ministre issu de ses rangs à Matignon, l’état des finances publiques l’en empêchera. Et cette promesse non tenue sera le carburant du RN.

Pourra-t-on parler de cohabitation même en cas de nomination d’un Premier ministre consensuel ?

À première vue, à partir du moment où le parti présidentiel n’a pas de majorité pour gouverner et que le Président de la République se voit imposer un Premier ministre par la coalition à l’Assemblée nationale, on peut parler de cohabitation. Ce qui restera toutefois une cohabitation moins dure qu’elle ne l’aurait été avec Jordan Bardella qui ne partageait pas la même tradition politique qu’Emmanuel Macron.

On a assisté ces dernières semaines à de nombreux débats sur la question du partage du pouvoir entre un chef de l’Etat et son Premier ministre de cohabitation. Qu’en serait-il ?

Sur beaucoup de sujets, il faut un accord des deux. Nominations, envoi de troupes en Ukraine… dès lors qu’un des deux membres du couple exécutif bloque, rien ne passe. C’est le président qui décide, mais c’est le gouvernement qui finance. Donc si le gouvernement veut y aller seul sans l’aval du président il sera bloqué, et la réciproque est vraie.

Vous disiez tout à l’heure qu’Emmanuel Macron est passé de Jupiter à René Coty, ses pouvoirs sont-ils devenus résiduels maintenant qu’il n’a plus de majorité à l’Assemblée nationale ? A-t-il autant de pouvoir qu’un président Allemand ou Italien ?

Non, il en a un peu plus parce que tous ses actes ne sont pas soumis à contreseing. Et il conservera son domaine réservé : politique étrangère, représentation de la France à l’étranger, et il garde la main sur les nominations, sur beaucoup de choses. Il reste le gardien de la Constitution.

Sauf que le domaine réservé n’est pas une règle inscrite dans la Constitution, mais inventée par Chaban-Delmas…

Oui, mais c’est un usage constitutionnel, et je suis certain qu’il sera respecté.

Très affaibli à l’aune de sa première cohabitation, François Mitterrand est parvenu à regagner en popularité sous la cohabitation avec Jacques Chirac, en incarnant la sagesse, la hauteur de vue… Peut-on imaginer qu’une cohabitation bénéficie à terme à Emmanuel Macron ?

Je ne pense pas, non. D’autant qu’il ne peut pas se représenter en 2027. Il va de fait se remettre en surplomb et regarder la politique française se faire sans lui, mais ça ne l’aidera pas. D’autant que tout le monde lui en veut. Y compris à l’intérieur de son camp. La vraie cohabitation commence maintenant, avec Gabriel Attal, président du groupe Renaissance à l’Assemblée, et qui ne pardonnera jamais à Emmanuel Macron d’avoir dissous l’Assemblée nationale.

Source: Ambre Xerri

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