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La France va-t-elle, comme d’autres pays occidentaux, voir un parti populiste accéder au pouvoir ? Conseiller politique à l’International Republican Institute (think tank américain de tendance libérale), Thibault Muzergues a récemment publié le passionnant Postpopulisme. La nouvelle vague qui va secouer l’Occident (L’Observatoire) sur l’évolution des partis populistes en Europe, marquant selon lui le retour à un plus classique clivage gauche-droite, comme en Italie.

Pour L’Express, il analyse les grands enseignements, au niveau national comme continental, de ces élections européennes qui consacrent un “affaiblissement de la France” tout comme une droitisation de l’Europe. Thibault Muzergues évoque également les scénarios possibles de la dissolution décidée par Emmanuel Macron, estimant qu’avec ce pari très risqué, le président se “remet au centre du jeu”, mais que même en cas de victoire du RN, il pourrait être “le garant des institutions, ce qui lui permettrait d’être un peu plus aimé des Français”.

L’Express : La France peut-elle échapper à une expérience populiste ?

Thibault Muzergues : On a eu huit ans de Barack Obama qui ont débouché sur la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, deux ans de Matteo Renzi qui ont permis à Matteo Salvini d’accéder au pouvoir en Italie. Il n’y a pas de raison que sept ans de Macron ne nous donnent pas un gouvernement Le Pen ou Bardella. En même temps, étant donné la situation, on peut se demander si ce n’est pas le moins mauvais des scénarios, dans la mesure où Marine Le Pen a accéléré son recentrage. Elle est devenue moins populiste, sans être non plus postpopuliste comme Giorgia Meloni. Et si Jordan Bardella était nommé Premier ministre après ces législatives, il sera un chef de gouvernement sous surveillance, le président restant le garant des institutions. On pourrait ensuite assister à un scénario dans lequel le RN explose en plein vol, comme ce fut le cas en Autriche pour Jörg Haider après son succès électoral en 1999. Ou alors, il peut y avoir un phénomène de romanisation des “barbares”, comme on l’a vu en Italie avec le populiste Mouvement 5 étoiles qui, très rapidement, est devenu un parti de notables.

Mais il n’est pas certain que le RN l’emporte, puisqu’un phénomène de front républicain va jouer, même si on ne sait pas encore dans quelle mesure. Emmanuel Macron a quand même lancé un défi aux Français en leur disant “OK, vous me détestez, mais êtes-vous prêts aux conséquences de votre rejet ?” Voyons comment les Français vont lui répondre.

Il faut aussi observer comment le RN réagira. Vont-ils mener une campagne populiste, comme ce fut le cas au début de la campagne des européennes ? Ou mèneront-ils une campagne beaucoup plus postpopuliste, permettant à des éléments de la droite de se rallier derrière le RN ?

La victoire très large de Jordan Bardella par rapport à sa rivale Marion Maréchal confirme-t-elle que ce sont les questions sociales et pas sociétales (IVG, fin de vie, GPA…) qui mobilisent les électeurs ?

On avait déjà constaté aux dernières élections européennes en 2019 que la droite catholique traditionnelle, incarnée par François-Xavier Bellamy, ne pesait pas plus de 7 % de l’électorat. Là, une partie est restée chez Bellamy, l’autre s’est tournée vers Marion Maréchal. Mais la vision identitaire de cette droite n’est, de loin, pas suffisante pour former une majorité, on en a la preuve aujourd’hui.

Il y a de grandes chances que la carrière politique de Zemmour se soit terminée dimanche

Selon vous, Marine Le Pen a bénéficié des outrances d’Eric Zemmour comme celles de Jean-Luc Mélenchon, en paraissant moins radicale qu’eux…

Eric Zemmour est un peu le dindon de la farce. On a vu ses grimaces quand, lors de la soirée électorale, Marion Maréchal a fait savoir qu’elle était prête à discuter avec Marine Le Pen. Il y a de grandes chances que la carrière politique de Zemmour se soit terminée dimanche, même s’il ne le sait pas encore. En tout cas, il a permis à Marine Le Pen de passer pour une figure non extrémiste, de gagner en respectabilité. Mais Marine Le Pen ne deviendra sans doute pas postpopuliste, car Macron et elle ont besoin l’un de l’autre. Lui représente l’establishment, elle le populisme.

Quant à Jean-Luc Mélenchon et LFI, ils ont quand même réussi à être tout proches des 10 % grâce à leur stratégie du “tout pour Gaza”. Mais leur “bordélisation” du Parlement a, là aussi, donné des gages de respectabilité au RN. On sait bien d’ailleurs qu’en cas de second tour présidentiel entre Le Pen et Mélenchon, il n’y aurait pas photo…

Cette dissolution va-t-elle accélérer le retour à un plus traditionnel clivage gauche-droite ? Les partis de gauche, déjà, ont annoncé des candidatures uniques…

Comme je vous le disais, Macron et Le Pen veulent rester dans le clivage populisme contre establishment. Mais le fait que le RN ait choisi Jordan Bardella prouve qu’il y a une ouverture pour revenir à une opposition gauche-droite. Ce qui voudrait dire qu’en cas de victoire du RN, on pourrait assister à une implosion de la Macronie, chacun rentrant chez soi, à gauche ou à droite.

Mais Emmanuel Macron peut encore s’en sortir. En revanche, même s’il l’emporte lors de ces législatives, il aura besoin d’une gauche “responsable” et d’une partie de la droite. Même en cas de victoire, il lui sera difficile de continuer à exister. Il aurait peut-être intérêt à une cohabitation avec le RN dans laquelle il serait le garant des institutions, ce qui lui permettrait d’être un peu plus aimé des Français.

Vous ne partagez donc pas les critiques sévères sur sa décision, brusque et prise en catimini, de dissoudre l’Assemblée nationale ?

C’est un pari très risqué, car il peut perdre énormément. Mais il fallait aussi que Macron fasse quelque chose pour reprendre la main. Connaissant l’instinct, la nature, le goût du coup d’éclat permanent, la prise de risque parfois inconsidérée du personnage, il était finalement assez logique qu’il dissolve l’Assemblée. Il y a également un vrai calcul derrière, qui n’est pas forcément bête. Le premier, c’est de reprendre la main, qu’il avait clairement perdue. Macron se remet au centre du jeu. Et ensuite, même s’il perd les législatives, il peut toujours se poser en garant des institutions.

Au niveau du Conseil européen, les prises de parole de Macron seront accueillies avec des sourires

Quelles sont les conséquences de ces élections européennes pour la place de la France dans l’Union européenne ?

Cette place est très largement amoindrie. Il y aura une délégation de seulement six eurodéputés français au sein du PPE [NDLR : Parti populaire européen], alors qu’au niveau européen, celui-ci est le grand gagnant de ces élections. Ce sera compliqué pour la France de peser au Parlement européen. Raphaël Glucksmann compensera un peu au sein du groupe des sociaux-démocrates, et c’est une bonne nouvelle. Mais au niveau du Conseil, les prises de parole de Macron seront accueillies avec des sourires par ses collègues qui, eux, ont remporté ces élections européennes. L’Allemagne et la France sortent clairement affaiblies de cette séquence. En revanche, celle qui est largement renforcée au niveau européen, c’est Giorgia Meloni.

Comment expliquez-vous le succès de Meloni, dont la liste est arrivée en tête en Italie avec plus de 28 % des voix, soit deux points de plus que lors des législatives de 2022 ?

Meloni a la chance d’avoir des oppositions très faibles. A gauche, le Parti démocrate a fait un bon résultat, mais le Mouvement 5 étoiles est tombé à moins de 10 %. A droite, les formations de la coalition sont faibles. Forza Italia est le parti d’un mort, Silvio Berlusconi. Et Salvini, qui a choisi la surenchère populiste, en a payé les conséquences, n’obtenant que 9 % des voix, très en deçà de son score en 2019. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que la Ligue du Nord opère un changement à sa tête.

La recette gagnante de Meloni, c’est d’assumer complètement le retour à un clivage droite-gauche, en se montrant respectueuse des institutions, même s’il y a aussi un côté populiste chez elle. Mais, de manière générale, Meloni a décidé de surpasser le clivage populiste pour revenir à une opposition droite-gauche plus classique, même si elle est très à droite sur les questions sociétales. En étant toutefois loin des positions outrancières d’un Zemmour en France, Meloni occupe ainsi toute la place en Italie. Elle est de surcroît très intelligente, comme on l’a vu lorsqu’elle a salué le président de la région Campanie en lui disant “je suis cette connasse de Meloni”, faisant référence aux propos injurieux de ce dernier à la Chambre des députés. Les féministes italiennes, tout en étant en opposition avec elle sur l’avortement, lui savent gré de montrer de la force face à des mâles dominants. Cela lui donne un capital de sympathie auprès des femmes.

En revanche, les Démocrates de Suède, que vous avez également rangés parmi les formations postpopulistes ayant su faire évoluer leurs positions au départ très radicales, ont subi un revers lors de ces élections européennes, tout comme les Vrais Finlandais. Paient-ils tous les deux leur participation au gouvernement ou à la coalition au pouvoir ?

Pour ces partis, il y a sans doute un prix à payer pour la normalisation, surtout dans le cadre d’une élection européenne. Les Démocrates de Suède et les Vrais Finlandais ont eu des résultats en deçà ce qu’ils espéraient. C’est un vrai reflux. Mais en Suède, le premier parti chez les jeunes lors de cette élection, ce sont les Démocrates de Suède. Cela montre quand même que s’ils ont connu une déconvenue, ce n’est pas un écroulement, et que leur base électorale est encore là.

Quels enseignements tirez-vous de ces élections d’un point de vue global, au niveau européen ?

On a un Parlement européen qui bascule vraiment à droite. Le PPE, bien plus que prévu, ECR [NDLR : Conservateurs et Réformistes européens] et ID [Identité et Démocratie] gagnent tous des sièges, alors que la gauche en perd. Les socialistes réussissent à se maintenir, mais les écologistes et les libéraux en perdent beaucoup. Sans doute que ces derniers paient leur position trop à gauche, notamment sur le Green Deal, à un moment où l’Europe se droitise. Ce qui est d’ailleurs fort logique, puisque la population du continent vieillit et devient donc plus conservatrice.

Source: Thomas Mahler

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