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L’information n’a pas eu un grand retentissement tant elle paraissait évidente : Elon Musk soutient le républicain Donald Trump dans sa course à la Maison-Blanche. Le patron de Tesla l’a officialisé sur son propre réseau social, X, en marge de l’émotion suscitée par la tentative d’assassinat contre l’ancien président américain lors d’un meeting de campagne à Butler, en Pennsylvanie. Puis a immédiatement embrayé sur un ton plus complotiste, sous-entendant une inaction “délibérée” des services secrets chargés de la sécurité, si tentés qu’ils ne soient pas “extrêmement incompétents”. Un message vu plus de 80 millions de fois, qui s’explique par la popularité de Musk en personne, le compte le plus suivi de la plateforme avec près de 190 millions d’abonnés.

X, autrefois connu sous le nom de Twitter, est plus que jamais au centre des théories complotistes qui s’affrontent depuis samedi. Sans surprise, la plus courante dépeint le magnat de l’immobilier en victime d’une machination aussi sordide que mystérieuse. “Ils ont laissé tirer sur Trump”, a assuré l’ancien kickboxer masculiniste Andrew Tate, totalisant à ce jour près de 13 millions d’impressions. Le compte Shadow of Ezra, près de 400 000 abonnés, a quant à lui affirmé que le deep state [l’État profond, NDLR] a tenté d’assassiner Donald Trump en direct à la télévision”. Ce dernier présente d’ailleurs une liste de commanditaires “en connivence” avec la CIA, l’exécutante, tels qu’Alexander Soros [le fils de George, NDLR], Barack Obama et même l’ex vice-président de Trump, Mike Pence. Alex Jones, un animateur de radio très célèbre dans la complosphère américaine, a lui aussi ciblé le très récurrent deep state dans un live suivi par des centaines de milliers de personnes. “Des thèses complotistes, en particulier dans la mouvance QAnon, présageaient que des personnes intenteraient un jour à la vie de Donald Trump. Forcément, ces théories prennent aujourd’hui toute leur force”, expose Thomas Huchon, journaliste fondateur du média antifakenews.ai, spécialisé sur les enjeux liés à la désinformation et au complotisme en ligne.

A l’opposé, et c’est plus nouveau, un des mots les plus populaires sur X ces dernières heures a été le mot staged pour “mise en scène”, supposée, donc, par le camp Trump. Le Washington Post évoque l’action de “BlueAnon”, bleus comme démocrate, en opposition à la nébuleuse QAnon pro-républicaine arborant le rouge sur ses casquettes “MAGA” (Make America Great Again). Le “BlueAnon” Lakota Man, quelque 500 000 followers, y voit ainsi du “faux sang” sur l’oreille blessée de Trump. Une scène “trop parfaite” d’après lui. La guerre des “narratifs” fait rage entre les deux camps. Elle devrait, sans nul doute, se poursuivre jusqu’au scrutin présidentiel, en novembre. En particulier sur X.

Soutien au “Chaman QAnon”

Cet afflux de propos conspirationnistes sur la plateforme ne surprendra personne. Il semblait inévitable, en réaction à ce qui est la première tentative de meurtre sur un président ou un ex-président américain à l’ère des réseaux sociaux, a remarqué la presse américaine. La photo de Donald Trump, le poing serré au milieu de ses agents de sécurité, n’a mis que quelques minutes à faire le tour de la planète. X est réputé pour sa réactivité à l’actualité dite chaude. “Il préexiste par ailleurs un fort imaginaire aux Etats-Unis autour d’un évènement du même type, l’assassinat du président démocrate John Fitzgerald Kennedy, en 1963″, indique Tristan Mendès France, enseignant, expert des réseaux sociaux et des mouvances complotistes. “Selon un sondage récent, Six Américains sur 10 pensent toujours que Lee Harvey Oswald [le tireur avéré, NDLR] n’a pas agi seul”, rappelle Dusan Bozalka, doctorant en sciences de l’information à l’Université Paris-Panthéon-Assas.

Deux autres éléments entrent également en ligne de compte. “La concentration extrême de l’évènement”, poursuit Tristan Mendès France. “Contrairement à la crise du Covid, l’envahissement de l’Ukraine, ou l’attentat du 7 octobre en Israël, des évènements étalés sur des heures, des jours voire des mois ayant aussi suscité de nombreuses théories du complot, celui-ci se déroule dans un cadre très serré de quelques secondes.” Tout est déjà là, prêt à être commenté. Ou presque. “L’absence de faits avérés” – le temps de l’enquête sur le tireur et ses motivations est forcément plus long que celui du commentaire – est un facteur de prolifération des idées complotistes, rappelle Dusan Bozalka. Du moins, des premières sorties “très virales” sur les réseaux sociaux, précise-t-il. “Les vraies théories complotistes, c’est à dire des récits plus longs et détaillés que de simples messages, résultent d’un travail de production transmédiatique (articles, vidéos, etc) d’influenceurs complotistes américains.”

Mais Elon Musk a délibérément décidé, depuis le départ, d’exploiter ce “bruit” complotiste. Outre ses propres messages et son soutien moral et pécuniaire à Donald Trump, c’est lui qui décide, à sa prise de contrôle du réseau social, en octobre 2022, de réintégrer des profils complotistes comme Alex Jones, Andrew Tate, ou encore Michael Flynn, des rangs de QAnon. Au total, plusieurs milliers d’autres ont été rétablis. A de multiples reprises, il exalte lui-même les univers conspirationnistes. Le 30 octobre 2022, en relayant une théorie farfelue et homophobe concernant le mari de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants. Le 11 mars 2023, en demandant par un tweet laconique la libération de Jacob Chansley, le “Chaman QAnon” condamné pour son rôle dans l’assaut du Capitole à quarante et un mois de prison. Ou à travers divers clins d’œil, comme lorsqu’il convoque lors d’un message le “lapin blanc”, le fait de creuser intensément un sujet par ses “propres recherches”. Une référence à la saga Matrix et sa matrice dont la communauté QAnon, très liée à la “magasphère”, raffole.

Virage politique

Entre-temps, le 25 novembre 2022, Elon Musk rétablit le compte de Donald Trump, banni après les tragiques émeutes du 6 janvier au Capitole. Un évènement catalyseur d’une théorie du complot qu’il a lui-même contribuée à lancer : celle de l’élection “volée” de novembre 2020, perdue face à Joe Biden. Même si Trump préfère y rester muet – sauf pour la publication d’un “mugshot”, une photo prise lors de son arrestation en août 2023 – “la trumposphère est sur X”, note Tristan Mendes France. Et elle n’a plus besoin de son leader pour propager ses idées. Le système de “coches bleues”, acquises simplement par un abonnement payant, permet de doper la viralité des posts. De nombreux complotistes y accèdent simplement. En France, des comptes tels que Silvano Trotta ou Mike Borowski qui a lancé, ce lundi : “Trump à deux doigts d’être assassiné par l’Etat profond !”.

Les conséquences de ces changements sont aujourd’hui mesurables. “Les théories du complot QAnon sont en augmentation sur le X d’Elon Musk”, a notamment titré à la mi-mai, dans une enquête, l’organisation NewsGuard spécialisé dans la lutte contre les intox en ligne. “En suivant les phrases QAnon couramment utilisées comme “QSentMe” [Q m’envoie], “TheGreatAwakening” [le grand réveil], Newsguard a constaté que ces slogans et hashtags liés à QAnon ont augmenté de 1 283 % sur X sous Musk.” Soit, du 1er 2023 au 1er mai 2024, 1,12 million de mentions de ces phrases contre 81 100 mentions un an plus tôt, du 1er mai 2022 au 1er mai 2023. Et ce, bien que QAnon ait perdu de sa superbe. Le meneur de ce mouvement, Q, ne publie plus depuis environ trois ans. Plusieurs autres indicateurs dénotent d’une augmentation de la désinformation et de la haine.

Ce virage “politique” de Musk, qui bénéficie à Donald Trump, s’explique par ses idées libertariennes, classées à droite de l’échiquier. Une rupture par rapport au reste de la Silicon Valley, incarnée par Musk mais également par le milliardaire Peter Thiel ou l’investisseur Marc Andreessen. Ce qui l’incite à promouvoir une forme de liberté d’expression pleine et totale. Avec des limites, celles des lois. Mais concernant les contenus complotistes, ces derniers tombent rarement dans l’illégalité. “Cela peut être seulement le cas lorsque le complotisme bascule dans la violence ou l’appel à la violence”, pointe Tristan Mendes France. La frontière est souvent très poreuse et difficile à identifier pour les législateurs. “C’est ça qui est terrible, souffle le spécialiste. Toute cette effervescence mène pourtant à une forme de radicalité.”

Source: Maxime Recoquillé

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