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Alors que le film “Un p’tit truc en plus” cartonne dans les salles de cinéma, la dette française aura-t-elle encore du succès avec un p’tit truc en moins ? Après la clôture de Wall Street vendredi soir, Standard & Poor’s a rendu son verdict tant attendu, actant ce que l’on redoutait depuis plusieurs mois, à savoir la dégradation de la dette française de AA à AA-. Les esprits étaient préparés. L’agence de notation américaine avait fait part de sa circonspection dès le 2 décembre 2022, affublant alors la France d’une “perspective négative”, traditionnel préalable à un déclassement.

La nouvelle a tout de même dû jeter un froid dans les hautes sphères de Bercy, qui s’était félicité de la stabilité des avis de Fitch et Moody’s un mois plus tôt. Quid des investisseurs ? Se montreront-ils plus méfiants vis-à-vis de la dette française ?

Plus politique que financier

En réalité, la note de crédit tricolore a pris une couleur bien plus politique que financière. On peut comprendre l’orgueil de l’exécutif à vouloir maintenir à tout prix le statut de la dette souveraine, d’autant que la crédibilité du ministre de l’Economie et du chef de l’Etat a été méchamment écornée par les révisions en baisse des estimations de déficit public. Les critiques ont été féroces ces derniers mois – Bruno Le Maire a encore dû se justifier, jeudi 30 mai, devant les sénateurs de la commission des finances.

Des reproches nuancés, il y a quelques jours, par les calculs des experts de l’OFCE. Les économistes Mathieu Plane, Xavier Ragot et Raul Sampognaro ont uni leurs forces pour aboutir au constat que les crises traversées depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir et les mesures budgétaires ponctuelles prises pour limiter la casse (chômage partiel, fonds de solidarité pour les entreprises, boucliers tarifaires…) ont pu contribuer jusqu’à 69 % à la hausse de l’endettement entre 2017 et 2023. De quoi relativiser le procès en incompétence du gouvernement.

Une des meilleures signatures

L’agence s’attend désormais à ce que le ratio de dette sur PIB s’alourdisse à 112 % en 2027, contre 109 % en 2023. Elle pointe aussi le dérapage du déficit public à 5,5 % en 2023, bien supérieur à ses prévisions, et ne voit pas la France parvenir à passer sous les 3 % en 2027. Autant d’arguments qui ont pesé dans la balance. Est-ce à dire que les taux d’intérêt auxquels l’Etat emprunte sur les marchés vont flamber ? Que les investisseurs en obligations souveraines vont se détourner des titres tricolores ? Pas du tout.

La dette française n’a rien perdu de son charme. AA ou AA-, notre pays continue de figurer parmi les meilleures signatures. “Les investisseurs, comme les agences de notation, ne prennent pas seulement en compte les facteurs purement quantitatifs. Ils regardent la diversité de l’économie, son tissu industriel, le poids politique du pays… et la France coche pas mal de cases, fait valoir Olivier Vion, responsable Marchés de capitaux secteur public chez Société Générale. Depuis la sortie de la crise Covid, la France met plus de temps à redresser ses comptes que d’autres économies de la zone euro. Mais la question est de savoir à quel horizon elle peut revenir à un meilleur équilibre financier. Or, les investisseurs accordent du crédit à ce retour à la normale.”

Les obligations de l’Etat français continuent donc de s’arracher, auprès d’un public très varié, des hedge funds à la vue courte aux institutionnels visant le long terme. Parmi ces derniers, les compagnies d’assurance. “En France, au travers de l’assurance-vie dont le poids est particulièrement important, une grande partie de l’épargne des Français est investie en dette française. C’est un facteur structurel de soutien. Compte tenu du niveau des taux, la demande est même un peu plus forte sur les produits de dette actuellement”, constate Jean-Christophe Machado, stratégiste spécialiste des taux européens chez BNP Paribas.

S’ajoute la demande des gérants d’actifs obligataires. “Certains doivent suivre un benchmark, un indice représentatif d’un marché, par exemple celui des dettes souveraines européennes. En général, la France pèse autour de 25 %, davantage que l’Italie et l’Allemagne. Cela implique des achats systématiques pour répliquer la performance et la composition de ces indices”, explique-t-il.

Retour attendu des investisseurs japonais

La France attire aussi de nombreux investisseurs internationaux, à commencer par les assureurs et les banques japonais. “Les taux servis par la dette française sont supérieurs à ceux de la dette japonaise, poursuit Jean-Christophe Machado. Dernièrement, les flux mensuels sont plus faibles, mais cela ne traduit nullement une défiance vis-à-vis de la notation de crédit ou une volonté de réduire l’exposition à la France. Nous nous attendons à ce que ces investisseurs reviennent à l’achat maintenant que la visibilité s’améliore sur la politique monétaire de la BCE, avec une baisse de taux attendue la semaine prochaine”. En Asie, le papier français a d’autres amateurs, dont les banques centrales de Thaïlande, Singapour et même de Chine.

Outre que la France n’a jamais fait défaut, l’une des raisons principales de ce succès, c’est la liquidité de la dette tricolore, bien supérieure à celle de beaucoup d’émetteurs. Une garantie précieuse et rassurante de pouvoir l’acheter et la vendre à tout moment. “Les équipes de recherche de BNP ont une vue très positive sur la dette espagnole mais sa moindre liquidité peut être un frein pour les investisseurs. De la même façon, ce facteur peut expliquer que les taux français et finlandais soient proches alors que la notation de la Finlande est meilleure, à AA + “.

L’argument est d’autant plus décisif lorsque la tendance sur les marchés est incertaine. Les opérateurs apprécient aussi le caractère prévisible des émissions, régies par un calendrier clair et fiable. Ce n’est pas la règle ailleurs, y compris en Europe.

Substitut à l’Allemagne

De façon indirecte, l’Hexagone bénéficie aussi de la rigueur budgétaire d’outre-Rhin. “Le programme d’émissions de dette allemande, amoindri en 2024 après la décision du Conseil constitutionnel de Karlsruhe contraignant le pays à réduire son budget, devrait être insuffisant pour répondre à la demande, souligne Amine Tazi, économiste passé par les services de Bercy, aujourd’hui consultant. Sur le marché des dettes souveraines en zone euro, cela devrait profiter aux obligations d’État françaises. Leur profil rendement/risque en fait le meilleur substitut comme actif’sans risque'”.

Pour faire valoir ses atouts, la France peut compter sur un VRP très efficace : l’Agence France Trésor (AFT). “Son métier consiste à gérer la trésorerie et la dette de l’État de manière sûre et dans les meilleures conditions de marché. En d’autres termes, on pourrait dire qu’elle doit vendre les obligations souveraines françaises au prix le plus cher pour les investisseurs et au coût le plus faible pour les contribuables”, résume Amine Tazi, ancien chef économiste de cette agence, rattachée au ministère de l’Economie, et qui gère également la relation avec les agences de notation. Ses représentants passent “énormément de temps à voyager à travers le monde en Asie, aux Etats-Unis, dans le Golfe pour parler aux investisseurs, leur expliquer les réformes, la stratégie d’émission”, salue Benjamin de Forton, responsable dette souveraine chez BNP Paribas, intermédiaire entre les acheteurs de dette et l’AFT. Pour coller au mieux à la demande, l’agence s’appuie en effet sur des partenaires bancaires, nommés “spécialistes en valeur du Trésor”.

Ces SVT – pour les initiés – sont au nombre de quinze, parmi lesquels, outre BNP Paribas, on retrouve Société générale, Crédit agricole mais aussi JP Morgan ou HSBC. Ils font part de leurs recommandations sur les volumes à émettre et les maturités à privilégier, achètent les titres et les placent auprès de leurs clients investisseurs. En février dernier, Benjamin de Forton a participé à une émission d’obligations françaises à 30 ans. “La demande était plus de 9 fois supérieure à la demande, et constituée à 91 % d’investisseurs étrangers, preuve d’un appétit extrêmement fort”, assure-t-il.

La dégradation annoncée par S & P ne va pas changer la donne. Les experts de BNP Paribas ne nourrissent d’ailleurs aucune inquiétude. “Aux yeux des compagnies d’assurance, la dette française reste un actif sans risque. Pour les gérants qui suivent un benchmark, ce passage ne déclenche pas de sorties : il n’y aura pas de ventes forcées. Ce qui importe c’est que la notation moyenne des grandes agences demeure entre AA et AA-, explique Jean-Christophe Machado. Même si la France passait à A, cela pourrait avoir un impact sur certains investisseurs étrangers, comme les banques centrales, ou sur certains mandats, mais le cœur des investisseurs français ne serait pas touché”. Une dégradation sous BBB- serait une tout autre histoire. On en est encore très loin.

Source: Muriel Breiman

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