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Vouloir pour obtenir. C’est à cela que ressemble, parfois, la vie d’un président. Début juin, lors des commémorations, Emmanuel Macron n’a pas besoin de remuer ciel et terre pour satisfaire son souhait : passer les troupes en revue, seul, délesté de la présence encombrante du chef d’état-major des Armées, et de celle du ministre des Armées. Images solennelles, le chef de l’Etat en majesté. “Demande expresse de l’Elysée.”

“C’est le chef des armées mais pas une autorité de commandement”, s’emporte un gradé. Après enquête, il s’agit d’une rechute. “Cela fait des années” qu’Emmanuel Macron privilégie une présence solitaire devant les militaires. Il arrive que le pouvoir ne se partage pas.

Vouloir pour obtenir. Quitte à s’asseoir sur la Constitution : un président ne devrait pas faire cela. Dimanche 9 juin, à l’Elysée. Devant les responsables de la majorité, Emmanuel Macron évoque son intention de dissoudre. Puis il entame un tour de table en donnant la parole à Yaël Braun-Pivet. La présidente de l’Assemblée nationale a appris quelques heures plus tôt qu’elle était conviée à l’Elysée, alors qu’on l’oublie “une fois sur deux”. Mais elle ne se contente pas de se satisfaire d’être présente, elle veut un tête-à-tête avec le chef de l’Etat. Parce qu’elle n’est pas d’accord avec lui ? Sans doute. Mais aussi parce que la Constitution l’exige, tout simplement, via son article 12, qui parle d’une “consultation”. La voici à peine mieux traitée que Gaston Monnerville sondé (pas même prié de s’asseoir) par le général de Gaulle en 1962 : “Monsieur le président du Sénat, la Constitution me fait obligation de vous demander votre avis. Mais votre avis je le connais. Je vous remercie.” Yaël Braun-Pivet a pu ne pas rester debout.

“L’enfant qui n’a qu’à vouloir pour obtenir se croit le propriétaire de l’univers”, foi de Jean-Jacques Rousseau. Ou le propriétaire des institutions, du calendrier, des oppositions, c’est selon. Aujourd’hui, le président ne peut compter que sur les idiots utiles du macronisme, ces élus qui ne pensent plus rien mais sont prêts à tout pour chasser le lepénisme – et ce n’est jamais bon signe pour un président d’en être réduit à cela. D’autant que ces idiots utiles qu’on essaie d’appâter au nom de la patrie en danger sont de moins en moins conciliants. Sauver Macron pour écarter le RN n’est pas leur priorité, ils veulent surtout préserver leur avenir.

L’enfant gâté n’est jamais rassasié

Décidément, il ne peut compter que sur lui-même. Dès le dimanche soir, jour de scrutin, le chef de l’Etat prévient ses ministres, trois interventions par semaine jusqu’aux élections ; il avait été absent de la campagne des législatives en 2022, cette fois-ci on le verra matin/midi/soir, l’enfant gâté n’est jamais rassasié, surtout quand il s’agit de s’écouter. Si seulement il pouvait imprimer des affiches avec son slogan rêvé… “Aimez-moi les uns les autres” – la formule est soufflée par un stratège du président. “Il imagine qu’il lui suffit d’arriver pour tout changer”, “il aime se mettre en scène comme un surhomme” : les formules acerbes, signées François Bayrou, visaient alors “l’egocratie” d’un autre président, Nicolas Sarkozy dépeint sous les traits de “l’enfant barbare”.

Evidemment, Emmanuel Macron a confiance en lui, “il se regarde trop pour voir les autres”, escamote un ancien ami. Ce 9 juin, les résultats lui ont sauté au visage et avec eux la figure marmoréenne et juvénile de Jordan Bardella. Il n’a pas eu d’autres choix que de voir. Il a pris la pleine mesure des résultats, il a voulu montrer qu’il ne détournait pas le regard mais l’un de ses interlocuteurs quotidiens se souvient encore de cette analyse présidentielle livrée dans un sourire quelques semaines avant le scrutin : “Les gens m’aiment mais ils ne supportent plus le gouvernement.” Réplique amusée du visiteur : “Les Français nous détestent !” “Non, ils vous détestent !” Qu’il est bon de rire. Qu’il est bon d’y croire.

La dissolution ? Le résultat d’une quête, entamée depuis les gilets jaunes, de “respirations démocratiques”, selon un conseiller élyséen. Ou la dépersonnalisation érigée en art de vivre. Le problème ne s’appelle pas Emmanuel Macron mais encore et toujours les institutions, les oppositions… Voyez donc sa cote de popularité : “Elle demeure assez forte, même très forte chez nos sympathisants”, se réjouit-on à l’Elysée. Le verre à moitié plein. Rappeler qu’il avait promis de renouer avec la jeunesse pour sa réélection et constater que deux ans plus tard seuls 5 % des 18-34 ans ont voté pour la majorité ? Le verre à moitié vide, inutile d’insister.

On connaissait Emmanuel Macron le comédien, le voici scénariste. Mais pas maître du jeu. Bien sûr, il aura tenté d’attirer sous la bannière présidentielle, avant la clôture du dépôt des candidatures le 16 juin à 18 heures, quelques bonnes volontés ; évidemment il sera enclin, au lendemain du premier tour, quand chacun choisira son camp, de trouver un clivage qui lui soit favorable. Mais au lendemain du 7 juillet, lorsque la nouvelle Assemblée nationale aura été désignée, plusieurs cas de figure peuvent se présenter.

La plus défavorable ? Le Rassemblement national et ses éventuels alliés détiennent la majorité absolue. Dans ce cas, le président “respectera les institutions”, avancent ses proches (qui ne peuvent évidemment pas dire autre chose à ce stade, au risque de transformer le scrutin en référendum pour ou contre Macron). Il garde en théorie le pouvoir de choisir le Premier ministre dans les rangs du parti majoritaire. Mais on se rappelle que lors des cohabitations, le choix de François Mitterrand fut contraint : en 1986, il fit mine d’hésiter entre Jacques Chirac, Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard d’Estaing, chez qui des émissaires furent envoyés, mais la décision de nommer le premier s’imposa vite en évidence. En 1993, le socialiste n’eut d’autre liberté que d’appeler Edouard Balladur, que son président de parti avait désigné pour aller à Matignon. En 1997, avec Jacques Chirac, le fléchage fut tout aussi évident : Lionel Jospin, premier secrétaire du PS arrivé en tête, devient, dès le lendemain matin, chef du gouvernement.

Deuxième scénario : la majorité présidentielle se sauve, mieux, s’accroît pour devenir absolue. Emmanuel Macron devient le Machiavel des temps modernes. Ou un simple capitaine de mauvais temps si le cabotage organisé tant bien que mal depuis 2022 se poursuit.

Troisième scénario : il faut bâtir une entente avec les forces de “l’arc républicain” se présentant sous leurs propres bannières (LR, PS, etc.) et qui dépasseraient l’extrême droite. “Cette coalition” impossible au fil de l’eau, peut se provoquer par les urnes”, veut-on croire à l’Elysée. Mais une donne institutionnelle nouvelle viendrait perturber ces scénarios. Au début de la prochaine législature, prime sera donnée aux petits groupes susceptibles de voter, le cas échéant, une motion de censure : ils seront en effet en position de force pour obtenir gain de cause et voir leurs caprices satisfaits dès lors que le président ne pourra pas dissoudre pendant un an.

Fini de jouer. Le temps aidant, le président s’est cru autoriser à n’en faire qu’à sa tête. Ni Dieu, ni maître, la liberté s’arrête où commence le cynisme. Car c’en était de délibérément placer l’examen du projet de loi sur la fin de vie en pleine campagne des européennes, à seule fin électoraliste, avec l’espoir d’adresser un clin d’oeil à la gauche et, en même temps, d’embarrasser François-Xavier Bellamy, qui avait été rattrapé par ses positions conservatrices lors des européennes de 2019. A présent, le texte a été emporté par la dissolution, il ne reste que l’impression d’une immense duperie.

Emmanuel Macron et le sens du moment, tragédie en plusieurs actes. Souvent, en privé, il questionne : “Comment fait-on l’opinion publique dans une campagne ?” Lui a bien sa petite idée, répétée, ressassée : “Il faut saisir son moment.” C’est ce qu’il a fait en 2017 en allant au-devant des salariés de Whirlpool, ce qu’il a cru faire en changeant de gouvernement en janvier dernier et en installant à Matignon celui qui devait tordre le cou à Bardella lors des européennes. C’est aussi ce qu’il amorce désormais avec cette dissolution dont l’un de ses proches explique qu’elle aurait été subie si elle avait été consécutive à une censure au moment du budget, à l’automne prochain. Le président, finalement, a saisi son moment. Mais les conséquences, plus encore que les fois précédentes, apparaissent incertaines. L’heure d’apprendre que vouloir ne permet pas toujours d’obtenir ?

Source: Laureline Dupont, Eric Mandonnet

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