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L’absurde est un ressort comique indémodable. Ce 14 juin, on joue du Raymond Devos au tribunal judiciaire de Paris. Eric Ciotti y conteste en référé son exclusion de la présidence des Républicains, prononcée par ses pairs après son annonce d’alliance avec le Rassemblement national. “Je suis l’avocat de LR”, “Je représente Les Républicains”… Les avocats du Niçois et de la présidente par intérim Annie Genevard se disputent la même qualité. Suspension, appel à une représentante du bâtonnier de Paris : la cacophonie règne.

Peu avant 20 heures, la décision tombe. La justice suspend l’exclusion de la présidence de LR Eric Ciotti, dans l’attente d’un jugement “au fond”. D’ici là, l’incertitude juridique pèse sur les candidats investis par la direction “frondeuse” du parti. Voilà le Niçois rétabli dans ses droits. Lui, chef déchu, défié par les salariés du siège de LR, maître d’un royaume fantôme. Quelques heures avant la décision, un permanent confiait : “S’il redevient président, il pourra nous virer.”

Enième rebondissement d’une mauvaise pièce de théâtre. Eric, seul à son balcon, face à une foule de journalistes. Ciotti, filmé dans son vaste bureau blanc, sur fond de musique épique. Des adversaires tout aussi démonstratifs. Les acteurs écrivent actes et scènes au quotidien. Ce folklore masque mal la violence de la crise traversée par LR. Une lutte à mort est engagée entre Éric Ciotti et la quasi-totalité des dirigeants du parti. “Il cherche à nous tuer”, lâche un dirigeant.

“Fonds de panier des LR”

Il y a de la psychologie dans cette crise. L’ambition d’un homme, adepte de la politique du fait accompli. Entre Eric Ciotti et ses anciens “amis”, les liens sont coupés. Aucun téléphone rouge pour prévenir une catastrophe nucléaire, nul cadre LR ne fait office d’agent de liaison. Mais cette bataille symbolise aussi les dissensions stratégiques d’un parti en crise existentielle, tiraillée entre deux pôles antinomiques. Une formation incapable de mettre en musique sa ligne d’indépendance envers l’extrême droite et la macronie.

La politique est emplie de tabous. De transgressions, qu’il serait inapproprié d’oser. La saisine de la justice en est une. Le linge sale se lave en famille. François Fillon et Jean-François Copé avaient appliqué ce précepte dans leur duel fratricide de 2012. Éric Ciotti, lui, n’a pas hésité à convoquer le droit pour retrouver son trône. Il en avait besoin. Quand il annonce le mardi 11 juin une alliance avec le Rassemblement national, l’homme parle dans le vide. En retour, des cris d’indignation et des moqueries. Éric Ciotti n’a entraîné presque aucun cadre dans son projet d’alliance. Une seule députée l’accompagne, l’élue des Alpes-Maritimes Christelle d’Intorni. L’homme est vite exclu de LR, qui investit ses propres candidats. Il n’en fait pas partie.

Qu’importe : Éric Ciotti ne lâche rien. Jordan Bardella annonce vendredi que 70 candidats bénéficieront d’une investiture “LR-RN” aux élections législatives, quitte à affronter des “LR canal historique”. La droite sourit. En interne, on s’amuse de la solitude d’Eric Ciotti, contraint de trouver 70 prétendants avec ses petits bras. Chacun a une anecdote sur cette chasse aux candidats. On s’amuse de leur profil supposé, jeune et sans grande expérience. “Si le RN veut faire les fonds de panier des LR, qu’il le fasse, sourit un hiérarque. Ils auront des tocards à l’Assemblée. Marine Le Pen pensait que Ciotti entraînerait des cadres, elle s’est foirée. La corbeille de la mariée est vide.” “Le RN lui fait miroiter un groupe parlementaire qu’il n’aura pas”, abonde un dirigeant.

“Il est dans le calcul, plus que dans la déraison”

Au diable, les quolibets. Les disciples du Niçois avancent groupés. Ils pensent bénéficier d’un atout maître : le soutien du Rassemblement national, portée par des sondages mirifiques. Un prétendant affûte ses arguments : “Les électeurs choisiront qui est en mesure d’avoir une majorité parlementaire forte pour redresser la France. On dira aux gens de droite : ne perdez pas votre vote.” En 2017, des inconnus n’ont-ils pas été élus sous la bannière de La République en Marche, dans la foulée de l’élection d’Emmanuel Macron ?

Bruno Retailleau est entré en guerre contre Éric Ciotti. Il met en garde : “Ciotti est un être rationnel. Il est dans le calcul, plus que dans la déraison.” La décision de justice a confirmé l’intuition du Vendéen. Mais pour quel effet ? Une bataille se fait jour, aussi insipide juridiquement que capitale politiquement. Quelle valeur accorder aux investitures aux législatives réalisées après l’exclusion d’Éric Ciotti ? Les heureux élus peuvent-ils se prévaloir de l’étiquette LR ? Lui assure que ces investitures sont hors des clous. Ses adversaires confirment leur légalité. Le tribunal a refusé de se prononcer sur la demande d’interdiction d’utilisation des logos et marques appartenant à LR. Casse-tête à prévoir.

Avec cette alliance imposée aux forceps, Éric Ciotti sème le trouble sur l’identité politique des Républicains. D’autant que l’élu dénonce en parallèle des “alliances en secret” négociées par Emmanuel Macron et Gérard Larcher en vue des législatives. La droite dément le moindre accord d’appareil, mais joue aussi d’un clair-obscur. Dans certains territoires, LR et la majorité ne présentent pas de candidats l’un contre l’autre. Ces accords locaux se nouent pour éviter un duel fratricide entre des prétendants lorgnant le même électorat, notamment en zones urbaines.

Ciotti, un symptôme autant qu’une cause

Ainsi, le député Renaissance de l’Essonne, Robin Reda, ne devrait pas avoir d’opposant LR dans sa circonscription. Le maire LR de L’Hay-les-Roses, Vincent Jeanbrun, a toutes les chances de concourir dans le Val-de-Marne sans rival de la majorité. Un pacte de non-agression s’esquisse en Loire-Atlantique. Un cadre LR défend : “Des gens essaient de se sauver mutuellement, mais ce n’est pas de même nature que ce fait Ciotti. Et cela concerne une minorité de cas.” D’autant que la droite est aussi incapable de trouver des candidats dans certaines circonscriptions. Ces arrangements signent toutefois une proximité idéologique. Qui imagine un socialiste renoncer à partir au combat au profit d’un élu de droite ?

Éric Ciotti s’appuie sur ces ambiguïtés pour défendre son alliance avec le RN. La clarté, c’est lui ! L’homme risque surtout d’ajouter de la confusion à une situation inextricable. Il a aussi bon dos. L’électorat LR est partagé sur les alliances à nouer, ses députés sont issus de territoires à la sociologie électorale diverse. Sa boussole idéologique est illisible. Comme lorsque l’eurodéputé LR François-Xavier Bellamy, pourfendeur d’Éric Ciotti, affirme qu’il voterait sans hésitation pour le RN en cas de second tour face à la gauche. Éric Ciotti n’est pas que l’acteur principal du drame vécu par l’héritier de l’UMP. Il en est aussi le symptôme.

Source: Paul Chaulet

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