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  7. Bruno Le Maire à Bercy,...

Bâtiment Colbert. Tout au fond de la citadelle de Bercy en bordure de Seine. Accolé à la façade, un immense cube de verre et d’acier décalé de 12 degrés par rapport à l’immeuble principal afin que la vue reste alignée avec les deux tours de la cathédrale Notre-Dame. Juste après l’entrée, sur les murs en bois clair de la rotonde, les photographies officielles de tous les ministres de l’Economie depuis Pierre Mendès France sont affichées. Un livre d’histoire en images. Beaucoup de portraits en noir et blanc. Une seule femme : Christine Lagarde. Et puis la dernière photographie, celle de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie qui aura connu la plus grande longévité à ce poste depuis la Seconde Guerre mondiale : sept ans.

Certes, Valéry Giscard d’Estaing a fait mieux (neuf années), mais en deux fois. Durant ce septennat à Bercy, Bruno Le Maire aura dû affronter deux événements majeurs dans l’histoire de la France et du monde. Le premier, totalement inédit et imprévisible : la pandémie de Covid-19, la paralysie de l’économie pour des raisons sanitaires et la mise sous cloche de tout un pays en 2020. Le second, impensable pour un continent européen qui croyait en avoir fini avec la guerre : l’agression de l’Ukraine par la Russie au printemps 2022, avec ses conséquences sur les prix de l’énergie et le choc inflationniste qui a suivi. Dans les deux cas, le ministre et toute l’administration auront dû réagir vite, inventer de nouveaux outils, sortir du cadre. C’est à l’aune de ces deux chocs majeurs qu’il faut dresser le bilan de la méthode “BLM”. Croissance, emploi, pouvoir d’achat, finances publiques… L’Express établit le carnet de notes du ministre Le Maire.

Croissance : dans la moyenne européenne, ni plus ni moins…

Note : 12/20

Tout avait pourtant si bien commencé : 2,1 % de croissance du PIB en 2017, 1,6 % en 2018, 2 % en 2020. Jamais depuis la fin des années 2000 et le déclenchement de la crise des subprimes aux Etats-Unis la progression du PIB n’avait été trois années de suite supérieure à 1,5 %. Une performance supérieure au taux de croissance potentielle de l’économie. Signe que les stigmates de la grande récession de 2008 et de la crise des dettes souveraines en Europe avaient enfin été effacés. Mieux encore, le virage de l’offre et les premières réformes sur le marché du travail initiées par François Hollande commençaient enfin à porter leurs fruits.

Puis patatras : le Covid a tout fait basculer, propulsant la France et l’économie mondiale tout entière dans un nouveau monde. En 2021, la croissance s’effondre, mais rebondit aussi brutalement avec l’arrêt des confinements successifs. Suivront des années de croissance molle. Pour dresser le bilan de ces sept années en matière de croissance, il faut se poser deux questions. Comment la France s’est-elle comportée par rapport à ses partenaires européens ? Et les plaies du Covid ont-elles été pansées ? “Nous n’avons fait ni mieux ni moins bien que la moyenne de la zone euro en matière de croissance sur ses sept dernières années”, répond Denis Ferrand, le directeur général de l’institut Rexecode.

Un satisfecit de courte durée. “Comparés à la Chine et surtout aux Etats-Unis, nous n’avons pas retrouvé le niveau d’avant crise.” Les économistes de Rexecode ont ainsi comparé le niveau de PIB à la fin de 2023 avec celui qu’il aurait dû atteindre si les tendances antérieures au Covid s’étaient poursuivies. En France et en Europe, le niveau de richesse est aujourd’hui de 4 à 5 % inférieur à ce qu’il devrait être. En Chine, il est encore très légèrement inférieur à la tendance, alors qu’aux Etats-Unis la crise sanitaire a été totalement effacée. Des chiffres qui reflètent un problème très français et européen : la faiblesse de la productivité, le maillon essentiel de la croissance. Depuis 2019, la productivité tricolore a chuté de près de 3 % par an en moyenne. Ce qui n’augure de rien de bon pour la croissance future.

Pouvoir d’achat : un bon résultat en trompe-l’œil

Note : 11/20

En matière de pouvoir d’achat, il y a la réalité statistique et le ressenti. Depuis la crise des gilets jaunes à l’automne 2018, cette dichotomie a alimenté la grogne d’une partie de la population. Le pouvoir d’achat du revenu disponible de l’ensemble des Français a progressé d’un peu plus de 9 % depuis 2017 (en tenant compte de l’inflation), d’après les dernières statistiques de l’Insee. Problème : cet indicateur est à prendre avec beaucoup de pincettes. D’abord parce que c’est un chiffre global et non individuel. Or chaque situation est unique. Ensuite et surtout parce qu’il prend en compte tous les revenus, ceux du travail, les prestations sociales, mais aussi les revenus du capital ou de l’immobilier.

La dérive inflationniste qui a débuté dès la fin de 2021 mais s’est intensifiée avec la guerre en Ukraine a frappé plus durement la classe moyenne inférieure et la classe populaire, pour lesquelles l’alimentation et l’énergie pèsent davantage dans le budget. D’où un sentiment de perte de pouvoir d’achat. Certes, le smic a suivi mécaniquement le taux d’inflation, mais les rémunérations légèrement supérieures au salaire minimum ont mis du temps à rattraper le choc inflationniste. Après le “quoi qu’il en coûte” pendant le Covid, Bruno Le Maire a poursuivi une forme de “quoi qu’il en coûte énergétique” : chèque énergie, bouclier tarifaire… Des mesures qui ont dégradé les finances publiques – le bouclier énergétique à destination des ménages, des entreprises et des collectivités s’est élevé à 110 milliards d’euros de 2021 à 2023. La plupart n’étant pas ciblées, l’effet sur la perception des ménages a été dilué.

Chômage : une décrue spectaculaire, malgré quelques bémols

Note : 15/20

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis l’arrivée de Bruno Le Maire à Bercy, le taux de chômage a baissé de deux points, passant de 9,5 % au troisième trimestre 2017 à 7,5 % au premier trimestre 2024. “La politique de l’offre mise en place depuis dix ans a porté ses fruits. Les impôts pour les entreprises sont plus bas, la réforme du Code du travail a permis plus de flexibilité”, liste Emmanuelle Auriol, professeure à la Toulouse School of Economics. Une décrue permise aussi par un outil qui a largement fait ses preuves chez nos voisins étrangers : l’apprentissage. Depuis 2018, le nombre d’apprentis a augmenté de 33 %, pour flirter avec le million fin avril 2024. “Ce dispositif a vraiment permis aux jeunes de rentrer sur le marché du travail. Auparavant, il avait mauvaise presse. On voit que les étudiants l’intègrent très facilement dans leur parcours, et les entreprises le plébiscitent”, pointe Stéphanie Villers, économiste et conseillère économique chez PwC France. Revers de la médaille, le succès de l’apprentissage coûte cher aux finances publiques et a surtout profité aux diplômés, ceux-là mêmes qui n’ont guère de difficulté à intégrer le marché du travail.

Enfin, les pénuries de main-d’œuvre se sont intensifiées, bien que la France soit loin d’être au plein-emploi. Le plein-emploi – justement l’objectif que s’étaient fixé le président de la République et son ministre de l’Economie pour la fin du quinquennat – s’éloigne aujourd’hui avec le ralentissement de la croissance. D’après les pointages de l’Urssaf, les déclarations préalables d’embauche ne cessent de reculer depuis le printemps.

Finances publiques : un mauvais élève pas très sérieux

Note : 6/20

Comme cadeau d’au revoir, Bruno Le Maire n’aurait sans doute pas pu imaginer pis. Fin juillet, la Commission européenne a enclenché une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France. L’année 2023 se révèle être une claque pour Bercy : sans choc exogène, comme l’Europe a pu en connaître avec la pandémie en 2020 et 2021, ou la guerre en Ukraine en 2022, notre déficit public s’est creusé à 5,5 % du PIB, contre 4,8 % en 2022. La faute, notamment, à de moindres recettes fiscales. “Notre déficit est aujourd’hui de nature très structurelle”, constate Denis Ferrand. Après la fin de la pandémie, Bercy a eu du mal à lâcher le “quoi qu’il en coûte”. Pourtant, dès août 2021, Bruno Le Maire assurait à l’université d’été du Medef que cette période où l’Etat dépensait sans compter pour soutenir l’économie était révolue. Mais voilà, la crise énergétique, consécutive de la guerre en Ukraine, a rebattu les cartes. Pour réduire le déficit public, les équipes de Bruno Le Maire s’essaient à la complexe stratégie de coupes dans les dépenses. Un premier décret a permis d’annuler 10 milliards de crédits en février dernier. Reste qu’il faudra encore aller trouver 10 milliards supplémentaires d’ici à la fin de l’année pour atteindre les objectifs fixés par le programme de stabilité. Charge au prochain exécutif de les mettre en œuvre… ou non ?

Dans le même temps, Bercy espère un rebond de la croissance pour renflouer les caisses de l’Etat. Un vœu pieux. “Arrêtons de croire que cela pourra permettre de résoudre le problème”, balaie Denis Ferrand. Si la politique de l’offre a très bien fonctionné, celle visant le soutien à la demande a été un échec. “Malgré la suppression des cotisations chômage pour les salariés et de la taxe d’habitation, au niveau global, les ménages ont préféré épargner après le Covid. Le gouvernement a voulu agir sur le moteur de la croissance française qu’est la consommation, mais celui-ci fonctionne très mal”, affirme Stéphanie Villers. Quant à la dette, elle a gonflé de quelque 900 milliards d’euros depuis 2017, pour atteindre plus de 3 000 milliards d’euros. “C’est un véritable problème pour notre économie. Nous dépendons complètement de l’étranger pour notre fonctionnement, regrette Emmanuelle Auriol. A partir d’août ou septembre, nous vivons à crédit avec une épée de Damoclès au-dessus de notre tête.”

Prélèvements obligatoires : du mieux, mais le chemin est encore long

Note : 13/20

Jusqu’au dernier moment, Bruno Le Maire est resté droit dans ses bottes. Pas question de revenir sur son engagement de ne pas augmenter les impôts. Et tant pis si le retour du déficit public à 3 % du PIB promis pour 2027 reposait uniquement sur des coupes dans les dépenses et une hypothétique accélération de la croissance. Il faut dire qu’en matière de pression fiscale la France est le mauvais élève de la classe européenne : même si le taux de prélèvements obligatoires a reculé en sept ans de 45,3 % du PIB à 43,2 % à la fin de 2023, il est encore nettement plus élevé que la moyenne de ceux de nos voisins européens.

Dès son arrivée à Bercy, Bruno Le Maire s’est donc attaché à réduire cet écart tout en poursuivant une politique de l’offre favorable à l’investissement et aux entreprises. Suppression de l’ISF, taxe forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital, réduction du taux de l’impôt sur les sociétés et baisse de 20 milliards des impôts de production. Les ménages, eux, ont bénéficié de l’abaissement de la deuxième tranche de l’impôt sur le revenu, de la disparition de la redevance télé et surtout de la suppression de la taxe d’habitation (près de 20 milliards d’euros en moins en régime de croisière pour les finances de l’Etat), promesse du candidat Macron en 2017. Avec la flambée des taxes locales dans les années qui ont suivi, les Français l’ont vite oubliée. Mais ça, Bruno Le Maire n’y est pour rien !

Attractivité : des initiatives remarquées qui ont porté leurs fruits

Note : 15/20

Le 13 mai dernier, lors du sommet Choose France, Bruno Le Maire se félicitait que la France soit la “championne d’Europe de l’attractivité”. A cette occasion, 15 milliards d’euros de nouveaux investissements étrangers avaient été annoncés, un record. Le dernier baromètre EY, publié quelques jours auparavant, ne pouvait donner tort au locataire de Bercy : pendant cinq années consécutives, notre pays a été le n° 1 du Vieux Continent en nombre d’investissements étrangers, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne. “Nous avons beaucoup bénéficié du Brexit. En 2017, Emmanuel Macron arrive au pouvoir avec un profil à la Kennedy, jeune et réformateur. Evidemment que le monde des affaires l’aime, il a mouillé la chemise. Et Bruno Le Maire l’a accompagné”, relate Emmanuelle Auriol. Une situation paradoxale, alors que la France reste l’un des pays d’Europe où la fiscalité sur les entreprises est la plus élevée. Mais les efforts consentis sur l’attractivité depuis sept ans ont payé. “Le monde des entreprises a vraiment été stimulé et rassuré par la politique mise en place. Elle leur a offert une vraie visibilité, qui leur a permis de se projeter tout en ayant confiance en leur capacité à se développer sur le territoire”, relève Stéphanie Villers.

La France dispose de plusieurs atouts : une énergie décarbonée, essentielle à l’heure de la transition énergétique, des infrastructures routières et télécoms de bonne qualité et une élite d’ingénieurs qui continue de séduire les plus grands groupes mondiaux. Seule ombre au tableau : cet afflux de capitaux étrangers n’entraîne pas de fortes créations d’emplois. En 2023, pour chaque projet, 35 emplois étaient créés en moyenne dans l’Hexagone, contre 299 en Italie, 101 en Espagne ou encore 61 au Royaume-Uni. Les investisseurs étrangers suivent désormais de près la situation politique dans le pays. Si l’instabilité devenait chronique avec des motions de censure à répétition, ils pourraient bien aller voir ailleurs.

La réindustrialisation : un démarrage tardif qui commence à produire ses effets

Note : 10/20

Durant le premier quinquennat, Emmanuel Macron et Bruno Le Maire se gargarisaient de la start-up nation. Mais, comme ailleurs en Europe, la crise du Covid a joué un rôle de révélateur. “On ne parlait pas de souveraineté auparavant, parce qu’il n’y avait pas eu de crise des approvisionnements aussi importante que celle intervenue en 2021, avec la pénurie de médicaments. On s’est rendu compte qu’avoir son destin industriel en main était essentiel”, illustre Denis Ferrand. La start-up nation a laissé place à une ambition de réindustrialisation, dans le sillage du plan France 2030.

Preuve du changement de paradigme, le titre de Bruno Le Maire a évolué en 2022 pour devenir celui du ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Pour quel bilan ? “Aujourd’hui, nous avons des indicateurs assez ambivalents sur la réindustrialisation. Ce que l’on peut dire, c’est que le processus de désindustrialisation, qui a été particulièrement fort entre 2000 et 2012, a été interrompu. Pour autant, nous n’observons pas de France réindustrialisée pour le moment”, dépeint l’économiste Vincent Vicard. En 2023, la France a enregistré 137 ouvertures et 106 fermetures d’usines, d’après les relevés de Trendeo. Un solde positif qui tend néanmoins à se réduire. Enfin, depuis 2017, 130 000 emplois industriels ont été créés, loin des 50 000 à 67 000 nouveaux emplois salariés qui seraient nécessaires chaque année pour faire passer la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de 10 % actuellement à 15 % d’ici à 2035. La suite sera particulièrement intéressante à suivre, à mesure que la transition énergétique va s’accélérer et que les effets des différents plans actés aux niveaux national et européen vont se concrétiser.

La simplification : un chantier inachevé

Note : 6/20

C’est un serpent de mer de la vie politique française. Des décennies que les gouvernements successifs promettent le Grand Soir de la simplification sans que cette dernière ne voit jamais le jour. Le sujet est revenu sur la table fin 2023, Bruno Le Maire promettant alors un “printemps de la simplification” pour 2024. Pour le ministre, l’enfer administratif coûterait au bas mot près de 3 % du PIB chaque année.

Pour y remédier, le patron de Bercy avait présenté en avril dernier en Conseil des ministres un plan visant entre autres à diminuer de 80 % le nombre de documents Cerfa d’ici à 2027. Il promettait aussi un bulletin de paye simplifié qui serait passé de 55 lignes en moyenne à une quinzaine. De même un “test PME” rendant obligatoire un essai grandeur nature de toutes les mesures touchant les entreprises avant leur application définitive devait également être mis en œuvre. Sauf que la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin a tout fait capoter. Le plan Le Maire rejoindra le cimetière des projets de simplification. Avant qu’un prochain gouvernement ne présente sa propre feuille de route en la matière. Après tout, le sujet est très consensuel !

Source: Béatrice Mathieu, Thibault Marotte

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