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L’urgence de la situation ne laissait pas de place aux tergiversations. Entre le 26 octobre 2022, date de l’obtention par Orpea de l’ouverture d’une procédure de conciliation devant le Tribunal de commerce de Nanterre et le 16 février 2023, épilogue de l’affaire, avec la fin de la restructuration du groupe d’Ehpad, une vie entière est quasiment passée. Tel est l’effet produit par ces procédures d’une intensité rare, et dont la complexité juridique et financière n’a fait que s’intensifier ces dernières années.

Pour conserver les emplois des 76 000 salariés et garder un lit aux 250 000 résidents, il a fallu arracher des compromis. Des dizaines de réunions, parfois tendues, souvent suffocantes. Des échanges de jour comme de nuit. Des négociations au cordeau. Au centre, le directeur général, Laurent Guillot, nommé en juillet 2022 pour remettre le navire à flot, et Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire réputée et incontournable de la place de Paris, désignée comme conciliatrice.

Autour des deux protagonistes, une trentaine d’acteurs, banquiers, avocats, créanciers et représentants de l’Etat dépêchés par le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri). Pour une écrasante majorité, des hommes. Qu’importe. “Quand une femme fait preuve d’autorité, cela fonctionne bien. Hélène Bourbouloux est très professionnelle et très sérieuse sur le plan juridique. C’est une poigne ferme dans un gant de velours”, décrit Laurent Guillot. Lorsque les blocages devenaient trop insistants, elle trouvait le bon ton pour dénouer les nœuds. Ecrasé par une dette de 9 milliards d’euros, ébranlé par le scandale de maltraitance révélé par le livre enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs (Fayard, 2022), le groupe parviendra à sauver sa peau en passant sous le contrôle de la Caisse des dépôts. Rebaptisé Emeis, il tente, depuis, de redorer son blason.

Quelque 50 000 procédures collectives par an

Lors des sauvetages d’entreprises emblématiques, comme celui d’Orpea, les mandataires et les administrateurs judiciaires, métiers méconnus et souvent mal perçus, jouent un rôle crucial. “Nous ne sommes pas des gens que l’on aime fréquenter ! Nous intervenons dans des situations qui sont toujours délicates à vivre pour le chef d’entreprise”, reconnaît François Desprat, le président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ). Contrairement aux avocats, qui se comptent en milliers, ils ne sont que 490, pour 266 études. Chaque année, ces professionnels sont chargés de gérer les quelque 50 000 procédures collectives qui s’ouvrent en France. Il peut s’agir d’une sauvegarde – lorsque l’entreprise n’est pas encore en cessation de paiement -, d’un redressement judiciaire – lorsqu’elle ne peut plus honorer ses créanciers, mais que l’activité peut se poursuivre – ou d’une liquidation judiciaire – lorsqu’elle est à l’arrêt et que le remboursement des créanciers n’est plus possible.

“Notre rôle est de geler les dettes et de tout faire pour que le chef d’entreprise puisse rebondir, en gardant les cartes en main. Dans les autres pays, ce sont les créanciers qui prennent le contrôle”, rappelle Christophe Basse, président d’honneur du CNAJMJ. En théorie, l’administrateur judiciaire défend les intérêts de l’entreprise, tandis que le mandataire représente les créanciers. En cas de liquidation judiciaire, ce dernier est nommé liquidateur. “C’est le marché qui crée l’équilibre. Le nombre de dossiers correspond à la capacité des études à se structurer. Une étude gère en moyenne 300 dossiers mais 90 % des procédures collectives concernent des entreprises de moins de 10 salariés”, ajoute Christophe Basse.

La prévention, un outil de plus en plus utilisé

Depuis une quinzaine d’années, deux autres procédures, confidentielles, se sont largement développées : le mandat ad hoc et la conciliation. Ces mesures de prévention s’adressent aux sociétés en délicatesse. Ce sont les chefs d’entreprise qui en font la demande auprès du Tribunal de commerce. Un mandataire ad hoc est alors désigné. La suite consiste pour le dirigeant, aidé de l’administrateur ou du mandataire judiciaire affecté, à négocier les dettes. “Plus nous anticipons les difficultés, plus nous avons de chances de les résoudre de la meilleure manière. Les statistiques qui émanent de l’Observatoire des données économiques de notre Conseil national font apparaître des taux de réussite de l’ordre de 70 % à 80 %, qui démontrent bien l’utilité de ces procédures préventives”, pointe François Desprat.

Une petite révolution pour la profession, qui a permis à une nouvelle génération de se démarquer à travers des dossiers emblématiques. Parmi eux, Hélène Bourbouloux donc, mais aussi l’un des mandataires judiciaires les plus sollicités, Marc Sénéchal, mobilisé récemment sur Casino, ou encore Frédéric Abitbol, que beaucoup citent en exemple. “Il y a 30 ans, le métier consistait surtout à accompagner les entreprises lorsqu’elles déposaient le bilan, pour rechercher des solutions. Aujourd’hui, les procédures de mandat ad hoc et de conciliation constituent, pour certains, l’essentiel de leur activité”, avance Guilhem Bremond, avocat chez Freshfields Bruckhaus Deringer.

De jour comme de nuit

Pour sortir du lot, point de secret. “Ce sont des métiers d’expérience. Il y a une qualité essentielle à mes yeux : l’engagement, illustre Marc Sénéchal. C’est une valeur cardinale. Vous êtes parfois obligés d’aller assez loin dans le sacrifice de votre vie personnelle et familiale”. Lors de la procédure de prévention enclenchée à la suite du Covid, Jairo Gonzalez, le secrétaire général d’AccorInvest – filiale à 30 % d’Accor gérant plus de 900 hôtels dans le monde – a pu observer l’implication sans faille du mandataire judiciaire pendant près de quatre mois. “L’un de mes avocats m’avait dit : ‘Tu as intérêt à beaucoup te reposer maintenant. Parce que dans quelques semaines, on va commencer un marathon pour parvenir à un accord.'”

Un conseil avisé. “Chaque dirigeant a son urgence personnelle. Si l’on file la comparaison avec l’urgentiste, notre action se joue effectivement au jour le jour, constate Marc Sénéchal. En revanche, lorsque le médecin sort de l’hôpital et rentre chez lui, l’un de ses collègues prend le relais. Nous non. On arrive à la maison et on continue à travailler, à répondre à nos clients. Ils n’attendent pas que ce soit quelqu’un d’autre que nous, surtout sur les gros dossiers. Ils veulent une très grande réactivité. Ce qui suppose d’être souple et de caler des obligations professionnelles dans des moments qui sont généralement occupés à autre chose.”

Hélène Bourbouloux confirme le côté moine-soldat du métier. “La pression, je la gère parce que j’ai l’impression de faire un boulot qui est utile. Nous sommes des entrepreneurs au service d’entrepreneurs. Dans ce job, on s’expose autant aux critiques qu’aux louanges. Le week-end, je regarde les arbres pousser en Corrèze”, glisse celle qui a été désignée conciliatrice dans le tentaculaire dossier Atos. Une exigence à laquelle elle était préparée. “J’aime cette complexité. Cela ne me fait pas peur. J’ai été élevée dans un environnement viril et ambitieux, le rugby. Cela m’a beaucoup servi par la suite.”

Tous ceux qui l’ont côtoyée sont unanimes. “Elle est courageuse et n’hésite pas à aller au front, dans des situations qui pourraient paraître impossibles à résoudre. Mais elle reste aussi très équilibrée, dans le respect des uns et des autres”, brosse Olivier Bersihand, qui fut directeur général du groupe Geoxia, dont la liquidation fut prononcée en 2022. “Hélène Bourbouloux a bâti quelque chose de remarquable : elle a une équipe, une expertise et une force de travail absolument incroyables. Elle commence à 5 heures du matin et finit à 22 heures, au plus tôt, puis elle répond à ses mails jusqu’à minuit. Elle connaît tous ses dossiers sur le bout des doigts”, abonde Olivier Puech, avocat associé au sein du cabinet Bredin Prat.

Une force de frappe industrielle

Hélène Bourbouloux et Marc Sénéchal sont respectivement à la tête de FHBX et BTSG, deux études rassemblant chacun plus d’une centaine de collaborateurs, cas uniques en France. “Ils ont modernisé la profession en montant des structures importantes, à la composition variée. Quand Robert Badinter a créé la profession en 1985, les études avaient au maximum une dizaine de collaborateurs. Or, pour répondre aux besoins des entreprises, dans des délais courts, il en faut bien davantage aujourd’hui”, explique Christophe Basse.

Autre avantage lié à la taille : la possibilité de rayonner sur le territoire. “Comme nous traitons beaucoup de volume, nous avons adopté une configuration plus industrielle, détaille Marc Sénéchal. Nous sommes ainsi en mesure d’être nommés simultanément dans différentes juridictions, pour traiter de très gros dossiers et justifier les attentes de nos mandants”. Une pluridisciplinarité appréciée des autres parties prenantes. “Il est essentiel d’avoir des études étoffées et dotées d’une équipe en droit social, en droit des affaires et en comptabilité. Chez FHBX, notamment, il y a beaucoup de collaborateurs possédant un double diplôme. Cela leur permet d’avoir une compréhension à la fois économique et juridique, alors que notre droit est de plus en plus complexe”, affirme Anne-Sophie Noury, avocate associée chez Weil, Gotshal & Manges.

Marc Sénéchal en précurseur de la médiation

Fort d’une réputation de négociateur hors pair, Marc Sénéchal développe depuis quelques années une autre corde à son arc, en plus des procédures collectives et de la prévention : la médiation. C’est lui qui, contre vents et marées, est parvenu à faire s’asseoir autour d’une table le PDG de CMA CGM, Rodolphe Saadé, et le fondateur de Free, Xavier Niel, qui bataillaient autour du rachat du groupe La Provence, dont la propriété reviendra finalement au milliardaire franco-libanais. “La médiation est une forme de passerelle entre deux personnes physiques ou morales qui, pour des raisons assez variées, ne se parlent plus et sont prisonnières de leur conflit”, résume celui qui se définit alors comme un “agent de liaison”.

Philippe Varin, le président du conseil d’administration du Suez, a fait appel à lui lorsque Veolia a lancé une OPA sur le géant de l’eau en 2021. Les deux hommes s’étaient connus lors de la restructuration d’Areva. “Marc est un conseil hors pair. Il défend les intérêts de la société, mais il essaye de trouver une solution. Son réseau très important est un actif indiscutable. A cela s’ajoute une grande aisance relationnelle”, encense un participant aux discussions. En face, Antoine Frérot, le président du conseil d’administration de Veolia, acquiesce. “Incontestablement, il a été utile pour trouver un terrain d’entente. Outre la technicité juridique, c’est un médiateur dans l’âme. Cela suppose beaucoup de patience et de sang-froid. Il faut organiser des conciliabules de chaque côté, afin de faire triompher la raison sur les passions”, raconte Antoine Frérot.

Car le rapprochement entre les deux mastodontes était loin d’être gagné. “Ce deal n’avait pas de sens. Il s’agissait d’une OPA tout à fait hostile, avec un intérêt stratégique douteux”, assure avec le recul un acteur de l’époque. L’implication de Marc Sénéchal, elle, n’a jamais fléchi. Après une chute de ski, l’une de ses passions, il s’était présenté à une réunion avec un plâtre. “Je lui ai demandé si c’était quelqu’un de Veolia qui lui avait fait ça”, se souvient avec le sourire un cadre de Suez. A ce jour, ce professionnel est le seul de son genre à mettre ses talents aux services de grands dirigeants.

Un rythme qui ne faiblit pas

Dans le sillage d’Hélène Bourbouloux et Marc Sénéchal, la prochaine génération d’administrateurs et de mandataires judiciaires entend bien prendre le relais. “Ces deux personnalités sont emblématiques de la profession. Ils se sont spécialisés dans les dossiers d’une certaine taille. Les tribunaux leur en confient car ils ont démontré leurs compétences et la richesse de leurs proches collaborateurs. Leur action et leur notoriété rejaillissent sur l’ensemble de la profession”, assure François Desprat. Cependant, difficile, pour le moment, de lâcher les plus grosses affaires et de déléguer. “Les plus jeunes vont accroître leur expérience au fur et à mesure. Ils vont grandir avec leur génération. Demain, ils s’occuperont aussi de ce type de dossiers”, pronostique Anne-Sophie Noury, du cabinet Weil, Gotshal & Manges.

Le rythme ne risque en tout cas pas de faiblir. Après un temps mort post-Covid, en raison de la mise en place des Prêts garantis par l’Etat, le nombre de procédures collectives a retrouvé son niveau de 2019 et pourrait poursuivre sa hausse cette année. “Jusqu’à la crise de 2008, les entreprises en difficulté n’intéressaient pas grand monde. La structure du monde économique a changé, on est passé dans un monde très financiarisé, relève Guilhem Bremond, de Freshfields Bruckhaus Deringer. Aujourd’hui, toute entreprise est susceptible, un jour, de devoir restructurer sa dette.” Récemment, ce sont Duralex et Caddie, deux PME iconiques françaises, qui sont passées par la case du Tribunal de commerce. Si les dossiers vont continuer de s’accumuler, Marc Sénéchal espère néanmoins, dans un avenir proche, que le nom de son étude éclipsera définitivement le sien. “La réussite d’une aventure entrepreneuriale est là : quand la marque supplante les hommes.”

Source: Thibault Marotte

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