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Au milieu du concert de louanges adressées à Kamala Harris après son débat face à Donald Trump, il y a des voix qui, aux Etats-Unis, se sont montrées moins dithyrambiques. Notamment, sans surprise, dans le camp conservateur. L’éditorialiste Peter Roff en fait partie. Cet observateur de longue date de la vie politique américaine ne s’en cache pas : “J’ai des préjugés, mais j’essaie toujours de me montrer impartial”. Dans son dernier éditorial paru dans Newsweek, “Trump a été Trump, et Harris n’a pas amélioré ses chances de victoire lors du débat”, ce journaliste analyse les raisons qui selon lui, font que la candidate démocrate est loin d’avoir plié le match lors de ce face-à-face suivi par quelque 67 millions d’Américains. “Ne pas commettre d’erreur et pouvoir se dire ‘j’ai gagné le débat parce que je n’ai pas fait d’erreur’, ce n’est pas suffisant”, estime Peter Roff, pas toujours tendre par ailleurs avec l’ancien président républicain. Mais dont les Américains, déjà habitués à ses sorties polémiques, pardonneront plus facilement des potentielles gaffes d’ici à novembre, estime-t-il. A l’inverse de Kamala Harris, dont “le manque d’expérience” lui donne “une énorme occasion de commettre une erreur fatale”.

Entretien avec un conservateur dont la parole cash a le mérite d’exposer ce qui manque encore à l’actuelle vice-présidente des Etats-Unis pour monter d’un échelon. Tout en lui reconnaissant une qualité : celle d’être “passionnée”.

L’Express : La majorité des observateurs sont d’accord pour dire que Kamala Harris a largement remporté le duel face à Trump le 10 septembre. Pas vous…

Peter Roff : Beaucoup de gens pensent que Trump a perdu le débat parce que Harris est apparue plus raffinée, plus professionnelle, en quelque sorte plus digne. Dont acte. Maintenant, laissez-moi vous poser une question : de quoi tout le monde parle aujourd’hui, plusieurs jours après ce débat ? Certainement pas de l’aide de 25 000 dollars promise par Kamala Harris aux primo-accédants. Ni de l’abattement fiscal de 6 000 dollars qu’elle propose pour un premier enfant. Tout le monde parle du désordre qui règne à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Et – vous me voyez venir – de la question de savoir si les migrants mangent vraiment des chiens et des chats à Springfield, dans l’Ohio. Si plusieurs jours après le débat, c’est le seul sujet dont tout le pays parle, alors le candidat qui a mis le sujet sur la table est celui qui a gagné le débat.

Pourtant, selon les sondages réalisés après le débat, les téléspectateurs américains estiment que Kamala Harris a dominé Donald Trump…

Il faut bien comprendre que les Etats-Unis sont aujourd’hui un pays très divisé. Au clivage idéologique se superpose un clivage de classe, entre l’élite et le reste de la population. Ce que je vais vous dire va vous sembler snob, mais les débats entre candidats sont destinés à des personnes très instruites. Tant par leur nature que par la manière dont ils sont formatés. En général, la plupart des questions posées par les modérateurs n’intéressent pas directement les gens. Rendez-vous compte, lors du dernier débat, aucune question n’a été posée sur l’échec des écoles publiques aux Etats-Unis.

Le pire ennemi de Kamala Harris est vraiment son manque d’expérience sur la scène nationale

Ni sur l’octroi d’un permis pour exercer son métier. Ainsi selon votre profession, si vous déménagez de New York dans l’Iowa par exemple, vous devez obtenir un nouveau permis. C’est un obstacle majeur pour les personnes qui se déplacent pour trouver du travail. Eh bien, pas un mot lors du débat. Lorsque vous élaborez les questions, vous devez prendre en compte tous les points de vue. Je ne prêche pas pour ma paroisse, mais les journalistes de presse écrite posent de meilleures questions que les vedettes de la télévision (rires).

Selon vous, Kamala Harris “n’a pas marqué les points nécessaires pour bâtir le type d’avance lui permettant de tenir jusqu’en novembre”…

Lors de la campagne de 2008, Barack Obama a mis la réforme du système de santé sur la table et tout le monde n’a parlé que de cela. En 1996, Bill Clinton déclarait vouloir être “l’architecte d’un pont vers le XXIe siècle” et tout le monde s’est tourné vers l’avenir. Kamala Harris, elle, n’a pas fait de propositions qui auraient fait dire à tout le pays : “wow, je peux y adhérer”. Elle ne s’est pas fatiguée. Ne pas commettre d’erreur et pouvoir se dire “j’ai gagné le débat parce que je n’ai pas fait d’erreur”, ce n’est pas cela qui va lui permettre d’attirer les foules dont elle a pourtant besoin pour gagner la Maison-Blanche. Si vous regardez les sondages, à ce stade de la campagne, Kamala Harris est en retard sur Hillary Clinton en 2016. Elle est aussi en retard sur Joe Biden en 2020. A l’inverse, Donald Trump est en avance par rapport à ce que disaient les sondages il y a quatre ans au même moment. Je ne dis pas que Kamala Harris ne peut pas l’emporter en novembre. Mais lors du débat, elle n’a pas plié le match.

Quelles sont selon vous les forces et les faiblesses de la candidate démocrate ?

D’abord, elle n’a jamais fait campagne pour un poste aussi important, et cela fait à peine un mois et demi qu’elle a entamé la plus grande course de sa vie. Il est difficile de se présenter à une élection présidentielle. Il y a tant à apprendre. Certes, Donald Trump n’avait jamais été candidat à quoi que ce soit auparavant lors de son élection en 2016, mais il a un charisme certain. Ce n’est pas le charisme de Kennedy, ni celui de Reagan. Je ne saurais vraiment le définir mais il est là. Le pire ennemi de Kamala Harris est vraiment son manque d’expérience sur la scène nationale. Je pense qu’à lui seul, ce défaut d’expérience lui donne une énorme occasion de commettre une erreur fatale, comme pour Gerald Ford en 1976 face à Jimmy Carter.

C’est-à-dire ?

Les choses étaient très serrées entre les deux candidats au moment de leur deuxième débat. Puis le modérateur a posé une question sur la Pologne et l’emprise de l’Union soviétique. Le président sortant Gerald Ford (battu ensuite par Carter) a alors répondu de manière maladroite : “Il n’y a pas de domination soviétique en Europe de l’Est et il n’y en aura jamais sous une administration Ford”, alors que nous étions en pleine guerre froide. Et les gens en ont parlé pendant des jours. Or, il faut se rappeler que Ford n’avait jamais mené de campagne nationale avant d’entrer à la Maison-Blanche (NDLR : Ford est devenu président le 8 août 1974, après la démission de Nixon). Il est le seul homme à avoir été chef de l’Etat sans jamais avoir été élu président ou vice-président. Beaucoup de ces choses étaient nouvelles pour lui. De la même façon, le manque d’expérience de Kamala Harris peut se retourner contre elle. Donald Trump peut commettre des erreurs, mais les gens y sont habitués maintenant. Il a donc une grande marge de manœuvre pour se planter. Kamala Harris, elle, n’en a pas.

L’autre problème pour la candidate démocrate, c’est qu’elle marche sur une corde raide. Lors du débat, Trump n’a pas cessé de mentionner Biden ? Pourquoi ? Parce qu’il veut que les électeurs pensent Biden-Harris, pas Harris-Walz (NDLR : son co-listier le gouverneur du Minnesota Tim Walz). Trump veut que les gens pensent aux trois dernières années et demie, qui aux yeux de nombreux Américains n’ont pas été bonnes. Comme l’a dit un professionnel de la politique que je connais très bien, si les gens entrent dans l’isoloir le jour de l’élection en pensant Biden-Harris plutôt que Harris-Walz, c’est Trump qui l’emportera.

Bill Clinton avait plus d’aura en plein jogging que Kamala Harris

Je suis conservateur, mais l’une des choses qui me rend dingue à propos de Trump, c’est la façon dont il agit ou parle de manière non présidentielle. Je ne pense pas que ce soit bon pour la fonction ni pour le pays. Il bataille avec des personnes avec lesquelles le président des Etats-Unis ne devrait pas se battre. Il ne se conduit pas comme je voudrais que le président se conduise à tout moment. Eh bien Kamala Harris, pour des raisons différentes, c’est pareil.

Comment ça ?

Du fait de son attitude, elle non plus n’a pas une stature présidentielle. C’est difficile à décrire, mais il y a chez elle à la fois une conscience de soi et un manque de conscience de soi. Et clairement, il lui manque cette aura qui entourait Obama, Clinton, Reagan et même les Bush père et fils. J’ai rencontré plusieurs d’entre eux durant ma carrière. Ils étaient entourés d’une forme de gravité à tout moment. On pouvait même la ressentir chez Bill Clinton lorsqu’il faisait son jogging.

J’ajouterais que sa maîtrise des faits est, d’une certaine manière, aussi faible que celle de Trump. Contrairement à ce qu’elle a dit lors du débat, Kamala Harris est prête à utiliser des questions telles que la race, le sexe, l’orientation et l’appartenance ethnique pour diviser les gens. C’est, d’après moi, ce que le parti démocrate américain est en train de faire. Il s’agit de politique identitaire. C’est destructeur à long terme. Beaucoup de gens disent que Trump est raciste en citant les choses stupides qu’il a dites. Et certaines d’entre elles me font frémir et d’autres sont inappropriées. Mais selon moi, la seule couleur qui compte vraiment pour lui, c’est le vert. Celui qu’on retrouve sur les dollars américains. Je pense qu’il y a de nombreuses personnes qui soutiennent Trump et qui ne sont pas tous des hommes blancs, et pour qui l’idée de gagner de l’argent est une priorité. Ils se disent : “Je veux nourrir ma famille. Je veux que mes enfants vivent le rêve américain que je n’ai pu avoir”. Et ça, Trump l’a compris.

Trump a tort d’avoir refusé un nouveau débat

La troisième raison est que les choses que Kamala Harris croit vraiment sont, pour reprendre un terme cher à son colistier, “bizarres”. Si elle l’emporte en novembre, en se basant sur tout ce qu’elle a dit et promet depuis un mois et demi, l’Amérique ressemblera à une peinture de Salvador Dalí ou à un film de Man Ray.

Avec son plan logement, sa promesse de favoriser la création des petites entreprises ou en faisant du pouvoir d’achat sa priorité numéro un… Kamala Harris ne peut-elle pas séduire les électeurs de la classe moyenne ?

Elle tente. Mais elle n’a pas présenté de plan vraiment abouti sur quoi que ce soit. Elle a émis quelques idées mais les idées sont des idées. Ce ne sont pas des plans. On pourrait d’ailleurs dire la même chose du candidat républicain à cette différence près : il y a déjà eu quatre ans de présidence Trump sur lesquelles les Américains peuvent au moins se baser pour juger. Les idées ne suffisent pas. Mais je lui reconnais au moins une qualité : elle est passionnée. Et je pense que les gens veulent que leurs dirigeants soient passionnés par quelque chose. J’aime la façon dont elle comprend qu’elle doit se rapprocher de chaque électeur. Pendant le débat, elle n’arrêtait pas de dire : “vous savez, Trump n’a rien pour vous. J’ai quelque chose pour vous”. Elle n’a toujours pas précisé ce qu’elle entend par là, mais j’apprécie qu’elle reconnaisse que nous sommes une nation d’individus.

Si vous étiez son conseiller, quel serait le premier conseil que vous lui donneriez pour battre Trump ?

Je lui dirais : “Oubliez tout de Trump. Ne parlez pas de lui. Il y a déjà eu un référendum sur Trump. Les personnes qui sont contre lui sont déjà avec vous. Vous devez donner à tous les autres une raison de venir voter pour vous”.

Comment analysez-vous sa décision de ne plus vouloir débattre avec Kamala Harris d’ici le jour de l’élection ?

Trump a tort. Un nouveau débat serait dans son intérêt. Cela lui donnerait une occasion de mieux se préparer cette fois-ci. D’autant que le risque que Kamala Harris commette une erreur fatale par excès de confiance ou par confusion est encore élevé.

Source: Laurent Berbon

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