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Un balcon à Marseille, vue sur le Vieux-Port et la “Bonne Mère” qui regarde. C’est là, dans l’hôtel de ville de l’autre capitale française, que Benoît Payan reçoit L’Express pour y dévoiler ce sur quoi il bûche depuis plusieurs années : “une nouvelle République”. Alors que le Nouveau Front populaire est arrivé en tête de ces élections législatives, le maire de la cité phocéenne appelle Emmanuel Macron à ouvrir la voie d’un référendum sur le sujet de la Constitution dès aujourd’hui, alors que les législatives se terminent.

Le mode de scrutin, le calendrier, le nombre d’élus locaux, leurs pouvoirs, ceux du président de la République… Il appelle les Français à tout revoir, du sol au plafond de la Constitution. Un travail long et fastidieux indispensable pour sortir de la crise institutionnelle qui mine le pays, et sauvegarder une démocratie prise en tenaille. Et l’édile socialiste, qui réclame de “la force tranquille”, considère que le rôle du président de la République “ne doit plus jamais être celui que lui consent la Ve”.

L’EXPRESS : Qu’arrive-t-il à la Ve République ?

Benoît Payan : Aujourd’hui, la Ve République convulse sous nos yeux. Elle vit ses derniers instants parce que ce qui cadence notre démocratie, le débat politique, a été mis sous l’éteignoir. Et pourtant, le peuple français est éminemment politique… Les Allemands ont le romantisme en commun, les Italiens la culture, et nous, Français, nous avons la politique en commun. Or le dévoiement de la Ve République, dénaturée par l’inversion du calendrier électoral et l’instauration du quinquennat, est la source de la catastrophe institutionnelle d’aujourd’hui.

Faire suivre une élection présidentielle par un scrutin législatif qui n’est qu’une élection de confirmation quelques jours plus tard, c’est empêcher le débat politique. C’est ce qui s’est passé en 2002, en 2007 et en 2017, c’est ce qui a commencé à dérailler en 2022. C’est ce qui se matérialise aujourd’hui. Pendant vingt-sept ans, nous nous sommes rapprochés du mur. Nous y voilà.

Pourquoi ?

Quand on demande de confirmer l’élection d’un homme, on confisque le débat démocratique. Nous avons été privés du débat politique, que l’on a remplacé par l’invective et les tweets. Les crises de nerfs ne sont jamais des opinions. Or les Français ont besoin de la force du débat pour se sentir citoyens, pour faire nation, pour faire République. On s’est longtemps défini en fonction de nos appartenances politiques, et même si certains refusaient de se mêler à la politique, ils pouvaient avoir une inclinaison à droite ou à gauche, être plus ou moins engagés. On appartient à quelque chose, à une manière de voir la liberté quand on est de droite, à une manière de voir la solidarité et l’égalité quand on est de gauche. On confrontait cela et on vivait ensemble parce que le débat démocratique actait d’une victoire, d’une défaite et d’une légitimité.

Ce débat-là, cette clarification, n’a plus lieu. Qu’un président demande qu’on lui valide une majorité et que son opposition dise ‘non, ne lui en donnons pas’, ça n’a aucun sens. Un débat politique, c’est avant tout un projet de société. Et l’article 20 de la Constitution définit justement les contours de ce que doit être la politique : c’est le gouvernement, issu normalement d’une majorité législative, qui détermine et conduit la politique du pays, qui a la charge de la mettre en œuvre.

Dans son livre La Force de gouverner, l’historien Nicolas Roussellier explique que la Ve fait croire que le régime du débat n’est pas l’essence du régime républicain et que seule doit compter l’efficacité de “l’exécutif”. Il faut en revenir ?

Sans débat, on ne s’en remet qu’à l’efficacité d’un seul homme. Quand on cherche en permanence le ‘deus ex machina’ plutôt que la noblesse d’un débat entre des projets politiques, alors on ne crée qu’un monarque, qui finit sans force. C’est une impasse démocratique que l’on aurait dû par exemple percevoir au moment des gilets jaunes. Ce n’était pas qu’une crise sociale, pas qu’une question de pouvoir d’achat mais un ras-le-bol de personnes déclassées et mal représentées. Car si le débat est confisqué par un mode de scrutin inique, nous ne pouvons plus compter sur des députés, qui ne sont plus vraiment des législateurs, mais les animateurs d’une chambre parlementaire devenue presque un cirque ; c’est le spectacle le plus triste de la politique.

Quand les femmes et les hommes politiques n’essaient plus de se hisser à la hauteur de l’Histoire et du moment, quand ils considèrent qu’on fait de la politique avec des tweets, on n’a que le chaos. Je ne me résous pas à réduire ma pensée politique à une insulte, un mensonge ou une vidéo sur les réseaux sociaux. Il faut s’extirper des émotions et de la peur qui abaissent la politique.

Le président ne doit plus se mêler du gouvernement de la France et de politique

D’une IVe inconstante à un Ve inconstante, bien que surarmée politiquement, n’est-on pas passé d’un déséquilibre institutionnel à un autre ?

Ce n’est pas un déséquilibre, mais une crise institutionnelle. Le président n’a pas à gouverner la France : il doit la présider. Son excès de pouvoirs constitutionnels a décrédibilisé l’action du gouvernement et du Parlement. Il ne s’agit pas de revenir à la IVe, mais d’inventer une nouvelle République. Dans un tel moment de crise, il n’y a pas d’autre choix que de se tourner vers les Français.

Quel référendum alors ?

En décidant de dissoudre l’Assemblée nationale au soir du 9 juin, en ne laissant qu’une semaine entre le moment où il a mis en œuvre l’article 12 et le dépôt des candidatures, le chef de l’Etat a donné un ultime coup de boutoir au débat démocratique. Les démocrates, les républicains se sont retrouvés dans une situation où, pour empêcher l’accession inexorable du Rassemblement national au pouvoir, ils ont dû se désister dans plusieurs centaines de circonscriptions. C’est certes un devoir, pour sauvegarder la République et ses valeurs, mais se retirer au nom de l’idée que l’on se fait de la République, ce n’est pas un programme politique, ce n’est pas une perspective à offrir aux Français.

Je considère dès lors qu’Emmanuel Macron n’a d’autre choix que d’organiser un débat qui doit permettre de tourner la page de la Ve, en interrogeant le fonctionnement de notre régime, en réformant en profondeur nos institutions, pour passer à une nouvelle République. Il faudra en passer par le référendum : n’en ayons pas peur. Un référendum sera salutaire s’il est bien organisé, en plusieurs mois pour discuter, débattre, pour que les Français disent comment ils veulent être gouvernés. Tout est à repenser : les élections, les circonscriptions, le mode de scrutin, les pouvoirs du Parlement, les pouvoirs du gouvernement, du Premier ministre, ceux du président et l’élection présidentielle.

Faut-il remettre en question le suffrage universel direct du président de la République ?

Tous les cinq ans, nous avons droit au ‘le roi est mort, vive le roi !’. Le régime présidentiel oblige à cela, parce qu’il est à la fois flamboyant et tragique. Souvenons-nous, en regardant les images de ces dernières semaines, d’Emmanuel Macron marchant seul dans la cour du Louvre tel un monarque. Cela ne pouvait finir qu’ainsi. Cette affaire amène au tragique mais nous n’en avons pas besoin, pas plus que de grandiloquence. Un chef de l’Etat doit présider, garantir l’unité de la nation, l’intégrité des institutions, sauvegarder la place de la France dans le monde. Au gouvernement, issu d’un débat politique législatif, et à lui seul, de mener la politique française.

Je me souviens de présidents élus au suffrage universel direct qui n’ont pas gouverné la France mais l’ont présidée. C’est une question de méthode, de style. Si je prends François Mitterrand, Georges Pompidou et Jacques Chirac : force est de constater qu’ils ont laissé leurs Premiers ministres gouverner. Les moments de cohabitation n’ont pas été tragiques parce qu’on a accepté le verdict des urnes, en 1986, en 1993 et en 1997. Ce furent des moments de respiration démocratique ; et celle de 1997 l’une des plus belles aventures politiques du pays, le dernier grand moment d’unité nationale, avec un président garant des institutions et un Premier ministre qui a mené parmi les plus grandes avancées sociales depuis le Front populaire. Le système fonctionnait, mais il est mort aujourd’hui. Les Français tiennent beaucoup au suffrage universel direct.

Pour ma part, je m’interroge car je sais que cela peut amener à des dérives. On pourra tout à fait garder le suffrage universel direct à partir du moment où les pouvoirs du président ne sont plus les mêmes. Le président ne doit plus se mêler du gouvernement de la France et de politique. Son rôle ne doit plus jamais être celui que lui consent la Ve. Il faut de la force tranquille pour gouverner le pays.

La somme des individualismes, des communautarismes ou des corporatismes, abîme la nation. Croyez-vous encore en cette idée ?

Le récit national français est si particulier, si complexe, avec ses tragédies sanglantes, ses guerres, ses moments d’émulation, ses révolutions. A partir de 1515, quand les rois de France, puis toutes les Républiques, pierre après pierre, ont choisi de faire du droit du sol un pilier fondateur de notre pays, ils ont considéré que la nation puis la république devaient agréger des gens venus d’endroits différents, qui pensaient et vivaient différemment. On agrémentait, on agrandissait le spectre national.

J’en veux énormément à celles et ceux qui, à droite comme à gauche, ont jeté en pâture la question de l’identité nationale. Ils n’ont pas introduit une fêlure dans le bloc républicain, mais une fracture. Ils ont abîmé la devise.

Comment réimposer l’idéal républicain ?

Ça ne se décrète pas, c’est quelque chose qui se raconte, qui transcende. Pourquoi à Marseille on se sent d’abord Marseillais et ensuite Français ou d’une autre nationalité ? Ici, pour être Marseillais, il suffit de le dire, d’y être, d’y habiter et la ville inclut, elle emporte dans une identité qui est plus grande et plus forte que la couleur de peau ou l’origine. C’est une ville qui reconnaît tous ses enfants. Et pourtant, Marseille n’est pas un rêve idyllique. On vit de difficultés comme peu d’endroits en France les vivent, mais il y a un idéal commun qui nous dépasse, que l’on soit médecin, ouvrier, artisan, avocat, que l’on vienne des quartiers Sud, des quartiers Est, des quartiers Nord ou du centre.

On a quelque chose qui nous rassemble, une langue et un accent qui nous lie. Marseille, c’est l’iode et le feu, le soleil et la mer, le vent des difficultés et la beauté des instants. La République n’efface pas les identités, elle les surpasse pour justement faire nation. Je n’ai pas oublié la langue de mes grands-parents, l’italien. J’en suis si fier. Ça ne me rend pas moins ou plus Français que les autres. Est-ce que je me sens aussi Italien ? Oui. Et alors ?

Mais quand l’Etat ne protège plus et que la nation est concurrencée par, que faire ?

Quand une petite ou un petit Marseillais grandit dans une école où il pleut dans les salles de classe, où il fait 40 °C l’été et 12 l’hiver, croyez-vous qu’elle ou il se sent inclus dans le récit national, citoyen à part entière ? Et ses parents, croient-ils que la République soit au rendez-vous ? Quand on est un hussard de la République baladé de collège en collège, de lycée en lycée, mal payé et sans moyens, quelle force faut-il pour continuer de défendre la République ! Et l’ouvrier de la Somme comme l’agriculteur de l’Aveyron, qui ne savent plus comment faire pour vivre de leur travail, se sentent-ils protégés par la République ? Et l’entrepreneur de Bretagne qui ne boucle pas les fins de mois et n’arrive pas à payer ses salariés ?

L’identité républicaine ne se décrète pas mais quand on veut gouverner ce pays, on aspire avant tout à faire vivre sa devise : la liberté, l’une des plus belles idées qui puisse exister et que l’on doit en partie à la droite, l’égalité, portée par la gauche, et la fraternité, qui unit la gauche et la droite. Le triptyque républicain est l’essence même du consensus national. Pour que ces trois piliers tiennent, les actes sont nécessaires. La répartition des richesses dans ce pays est indigne de notre devise. Celles et ceux qui sortent des milliards de bénéfices ne doivent-ils pas contribuer à la solidarité nationale, au projet républicain, à la construction d’écoles, de bibliothèques, de piscines, d’opéras ? Je fais partie des gens privilégiés et je ne crois pas que cela soit infâme d’aider ceux qui ont le moins. C’est un devoir. C’est cela le projet républicain, c’est cela qui fait nation.

Source: Olivier Pérou

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