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Cela fait des années que les soft skills inondent les rubriques management mais, ironie de l’histoire, c’est dans le domaine militaire que ces compétences “douces” ont vu le jour, durant les années 1970. L’armée américaine souhaite alors distinguer les compétences qui n’ont aucun rapport avec la manipulation des machines, à savoir les aptitudes humaines, relationnelles ou personnelles. Cinq décennies plus tard, les soft skills (le savoir-être) sont partout dans les entreprises, semblant même avoir relégué les hard skills (le savoir-faire) à l’âge de pierre.

Créativité, gestion du stress, empathie, capacité à travailler en groupe… La liste des soft skills est infinie, une sorte de “fourre-tout dans lequel on met tout ce qu’on veut”, résume Olivier Sibony. Si ce professeur à HEC Paris les juge importants, il faut selon lui “les prendre un par un pour en parler”. Le docteur en sciences de gestion Frédéric Faure déplore “une notion souvent définie en creux”, qui exclut tout ce qui est technique. Cela est “pratique mais n’a pas de sens car il peut y avoir de la technique dans les soft skills”, notamment dans la capacité à collaborer ou à gérer son temps, souligne ce chercheur associé à l’université de Rennes II.

Malgré cette absence de définition universelle, la recherche scientifique a établi ces dernières années une distinction entre deux grandes catégories de soft skills, explique Frédéric Faure. D’un côté, les ressources internes que l’on a en nous, que l’on utilise ou pas (capacités cognitives, intérêts, besoins, traits de personnalité, etc.). Ici, les soft skills les plus objectivables sont les capacités cognitives (analyse, attention, mémorisation…) car, précise-t-il, “les psychologues ont conçu des tests robustes qui permettent de comparer les personnes”. Pour les autres soft skills de cette catégorie il y a toujours une part de subjectivité”. De l’autre côté, on a les comportements en situation qui eux, contrairement aux ressources internes, sont observables. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont plus objectifs, car on ne voit que ce qu’on a envie de voir et ce que la personne nous donne à voir. Ainsi lorsqu’elle semble faire preuve d’empathie, cela peut être du calcul. Dans cette seconde catégorie, seuls les comportements d’efficacité (la capacité à convaincre les autres, par exemple) peuvent être évalués de manière fiable, indique Frédéric Faure, puisque ici “seule la réussite de l’action compte”.

Laurent Cappelletti, professeur au Cnam, lui, opère une autre distinction entre d’une part les comportements de base indispensables que tout le monde doit posséder dans un collectif (garder son calme, ranger son espace de travail, être ponctuel…) et d’autre part les comportements attendus non génériques, c’est-à-dire propres à certains métiers. “Si vous prenez le service immigration d’une préfecture, cela peut-être la maîtrise de la gestion des conflits”, illustre l’économiste. Charge alors à chaque dirigeant de mettre en place des grilles de comportement précises qui peuvent varier d’une entreprise à une autre. Réfutant la traditionnelle opposition entre hard skills et soft skills, Laurent Cappelletti en est convaincu : ce qui permet de performer durablement, c’est la complémentarité entre compétence, comportement et énergie (par là, entendez un environnement stimulant). A l’appui de son propos, l’observation longitudinale de 2250 études de cas depuis quarante ans dans des entreprises et organisations, des résultats qui font l’objet d’un ouvrage coécrit avec Henri Savall et Véronique Zardet, paru en janvier chez Springer Nature, l’une des plus grandes maisons d’édition académique et scientifique. Mais alors, comment mesurer à l’échelle d’une organisation l’apport des seuls soft skills ? “On le quantifie par la négative : on part de dysfonctionnements au travail, comme un produit pas bien fait, des défauts de qualité, des surtemps, et ensuite on remonte à la cause et on évalue les coûts cachés”, décrit le chercheur, dont les travaux indiquent que, dans la moitié des cas en moyenne, ces dysfonctionnements sont liés à des défauts de compétence, l’autre moitié à des problèmes de comportement : “Nous avons vu des entreprises qui ont recruté des ingénieurs techniquement très compétents mais qui, derrière, larguaient leurs équipes, ce qui entraînait à la fin des retards de livraison des appareils.”

Gare aux dérives en matière de recrutement

Chez AssessFirst, une société spécialisée dans la gestion prédictive des talents, on ne mesure pas les soft skills en tant que telles – “trop de gens les utilisent sans savoir ce qu’il y a derrière”- mais on se focalise sur trois dimensions, décrit Emeric Kubiak, directeur scientifique, – la personnalité (comment la personne se comporte au quotidien), les motivations (ce qu’elle veut faire au quotidien) le raisonnement (comment elle réfléchit), – “qui aujourd’hui reposent sur des fondements scientifiques éprouvés depuis plus d’une centaine d’années en psychologie, comme le modèle des Big Five ou HEXACO”. Quand on se base sur ces fondements-là, les résultats côté entreprises “sont assez dingues”, assure cet expert en sciences comportementales : “Les employeurs s’appuyant sur ces critères recrutent des collaborateurs en moyenne 40 % plus performants, beaucoup plus divers et divisent leur turn-over par deux.” Emeric Kubiak insiste cependant sur l’importance de contextualiser ces éléments en fonction du poste notamment : “On va attendre d’un UI designer qu’il soit créatif, mais le fait qu’il cherche à convaincre les autres n’aura peut-être aucun lien avec la performance.”

En matière de recrutement, la prudence vis-à-vis des soft skills semble toutefois de mise. Un article de The Economist de 2023 mettait en garde contre des dérives potentielles : “Les soft skills sont plus fragiles que les compétences techniques, ce qui permet aux candidats de tricher plus facilement tout au long du processus. Elles constituent aussi un terrain plus propice aux biais des recruteurs.” Frédéric Faure y voit aussi des limites dès lors qu’il s’agit de recruter des personnes qui ont un faible niveau de qualification : “Cela a été démontré, les soft skills recherchées sur ces postes-là sont souvent plus vagues et peuvent relever de la discrimination.”

Le chercheur invite les dirigeants à moins se focaliser sur les personnes et met en garde contre ce que la psychologie appelle l’erreur fondamentale d’attribution : “On a souvent tendance à considérer que les résultats sont principalement imputables aux caractéristiques des personnes elles-mêmes, or le contexte joue tout autant dans la performance des organisations que les capacités et les comportements des individus pris isolément.” Et d’en revenir à une idée toute simple : “Je ne connais pas de meilleure manière d’évaluer un candidat que de le mettre à l’essai.”

Source: Laurent Berbon

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