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Comme si le dossier Atos ne suffisait pas… Voilà un nouveau caillou dans la chaussure de Bruno Le Maire. Alors que le ministre de l’Economie a fait de la reconquête industrielle et de la souveraineté ses marqueurs politiques, l’affaire pourrait faire grand bruit. D’autant qu’elle touche un secteur sensible et qui parle directement à des millions de Français : les médicaments.

C’est un secret de Polichinelle : le laboratoire Servier serait sur le point de se délester de sa filiale Biogaran, le spécialiste tricolore des médicaments génériques. Un poids lourd qui croque 32 % de parts de marché en France. Des milliers de molécules. Plus de 1 boîte de médicaments sur 8 vendues en France est estampillée Biogaran. L’entreprise, qui ne compte que 250 salariés, sous-traite l’intégralité de sa production à des dizaines de prestataires éparpillés en France et dans toute l’Europe. Rien que dans l’Hexagone, le laboratoire fait vivre directement et indirectement près de 8 600 personnes.

Officiellement, chez Servier, on jure que rien n’est acté et qu’il s’agit d’une “simple revue stratégique des actifs à laquelle procèdent toutes les entreprises une fois par an”. Dans le secret du bureau des avocats et banquiers d’affaires – notamment ceux de la banque Lazard, chargée par Servier de piloter la vente -, les tractations avancent pourtant à grands pas. Pour ne pas servir d’épouvantail pendant la campagne des élections européennes, Bercy aurait discrètement invité Servier à repousser le dépôt des offres, initialement prévu à la mi-mai, après le scrutin. Et certains prétendants pourraient officiellement sortir du bois dès le 11 juin. Alors que des acteurs étrangers convoitent la pépite française, le dossier risque donc d’atterrir entre les mains de Bruno Le Maire dans le cadre de la procédure du contrôle des investissements stratégiques. A lui, donc, d’éplucher les offres du ou des candidats retenus par Servier, de soupeser leur pedigree et leurs promesses, avant de rendre son avis. Feu vert ou refus catégorique ? L’affaire est politiquement inflammable.

Pourquoi Servier a-t-il décidé de se séparer maintenant de son fleuron tricolore ? Certains avancent l’idée que le laboratoire serait aux abois et chercherait de l’argent frais. L’entreprise, qui est désormais entre les mains d’une fondation, n’est pas cotée et ses comptes ne sont pas publics. En décembre 2023, elle a été condamnée en appel dans le scandale du Mediator à verser une amende de 415 millions d’euros à l’Assurance-maladie et aux mutuelles, à laquelle il faut ajouter 9 millions d’euros à près de 7 000 parties civiles. Ces amendes ont bien été payées rubis sur ongle cinq jours après la sentence, même si Servier s’est pourvu en cassation. En réalité, ce sont les conditions encadrant l’activité des génériques en France qui poussent aujourd’hui le laboratoire à divorcer d’avec Biogaran.

La régulation est telle, et les prix imposés par l’Etat tellement bas pour les molécules matures qui ne sont plus protégées par des brevets, qu’il est aujourd’hui très difficile de faire des bénéfices sur cette activité en France”, plaide un représentant du G5 Santé, le lobby des industriels de la santé. En moyenne, le prix de vente (hors taxe) d’un comprimé de générique en France atteint tout juste 16 centimes… contre 21 centimes en Allemagne et 32 en Italie, d’après les calculs du Gemme, le syndicat des fabricants français de génériques. “Beaucoup de petits laboratoires spécialisés dans des médicaments génériques vendent aujourd’hui à des tarifs inférieurs à leurs coûts de production”, souffle Patrick Gehin, un ancien ponte d’AstraZeneca. Intenable pour Servier, qui aurait donc décidé de suivre le chemin déjà tracé par certaines Big Pharma.

Depuis l’automne dernier, Sanofi ne cache plus son souhait de se séparer de sa filiale grand public, qui distribue notamment le Doliprane. Quant au suisse Novartis, il s’est délesté de sa filiale générique Sandoz l’an passé. Tous les grands laboratoires se sont lancés dans une course aux innovations sur des aires thérapeutiques bien plus rentables. Servier, lui, a investi massivement dans l’oncologie, un secteur où l’entreprise aurait réalisé l’an passé près de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, objectif atteint avec deux ans d’avance. Et il lorgne désormais la cardiologie et la neurologie. Mais pour cela, il faut de l’argent. Beaucoup d’argent…

Le problème, c’est que depuis que la banque Lazard a fait circuler le “mémo” détaillant les comptes de Biogaran, les prétendants français et européens ne se bousculent pas au portillon. L’entreprise est rentable, claironnent pourtant les banquiers. Un petit laboratoire franco-libanais, Benta, basé à Lyon, aurait pointé le bout du nez avant de lâcher rapidement l’affaire. Un fonds d’investissement européen, BC Partners, qui a avalé quelques start-up dans la santé ces dernières années, aurait aussi levé la main, sans convaincre. Des candidats moyennement solides, pointe un proche du dossier. Encore moins des industriels.

En lice, deux labos indiens

Les seuls prétendants vraiment sérieux viennent tous deux du royaume du médicament : l’Inde. Aurobindo Pharma et Torrent Pharma, deux géants cotés à la Bourse de Bombay et qui se classent parmi les plus gros fabricants de médicaments de la planète. Le premier, Aurobindo – près de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires -, est présent dans 150 pays, emploie plus de 33 000 personnes dans le monde et figure déjà comme le premier producteur de génériques aux Etats-Unis. En France, il est loin d’être un inconnu. En 2014, avec l’aval de Bercy, il a déjà mis la main sur un laboratoire français, Arrow, dont il a fait en l’espace d’une décennie le premier fournisseur de médicaments génériques à l’hôpital. Le second, Torrent – 1,2 milliard de chiffre d’affaires – est aussi un poids lourd au Brésil, aux Etats-Unis et surtout en Allemagne où il a racheté en 2008 le jumeau de Biogaran, le laboratoire Heumann, qui a doublé de taille depuis l’opération.

Un fauteuil pour deux ? Rien n’est moins sûr. Derrière les présentations PowerPoint et les montages financiers sophistiqués, les investisseurs indiens ont découvert une subtilité très française qui plombe les comptes de Biogaran, comme ceux de tous les laboratoires tricolores. Un micmac réglementaire appelé “clause de sauvegarde”. Tous les ans, le gouvernement fixe dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) une enveloppe de dépenses de médicaments remboursées par l’Assurance-maladie. Si les ventes dépassent ce seuil, les laboratoires doivent reverser à la Sécu entre la moitié et les trois quarts de la différence. Ainsi, sur les 4,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires affichés par les fabricants français de génériques l’an passé, près de 300 millions seraient retournés à l’Assurance-maladie par ce biais, soit 12 fois plus qu’en 2019 !

Pérennité ou souveraineté ?

Pour Biogaran, cette clause de sauvegarde aurait représenté l’an passé près de 75 millions d’euros, d’après nos informations, soit un peu plus de 10 % du chiffre d’affaires du laboratoire estimé à 760 millions d’euros. En clair, la majorité de la marge aurait été mangée par cette ponction, observe un fin connaisseur de l’entreprise. Une situation que les candidats au rachat mettent dans l’équation pour justifier un prix plus bas. Pour compliquer encore l’affaire, Bercy a promis lors du dernier PLFSS pour 2024 de limiter cette fameuse clause à 2 % maximum du chiffre d’affaires pour les fabricants de génériques. Sauf qu’aucune garantie n’a été donnée pour les années qui viennent. Pas vraiment engageant pour les potentiels acquéreurs, alors que l’Etat, en quête d’argent frais, racle les fonds de tiroirs.

En attendant de s’entendre avec Servier sur un prix de vente, les deux soupirants peaufinent leur dossier pour séduire le ministère de l’Economie. Quand Torrent assure vouloir consacrer entre 6 et 7 % du chiffre d’affaires de Biogaran à l’investissement – contre un maigre 1 % actuellement -, son concurrent Aurobindo promet de ne pas rompre les contrats en cours avec les sous-traitants français et européens. Oui, mais demain ? Bruno Le Maire, qui a donné en toute discrétion son feu vert fin 2023 au rachat du labo français Cenexi – certes bien plus petit que Biogaran – à un autre groupe indien, Gland Pharma, contrôlé par le conglomérat chinois Fosun, est au pied du mur. Pérennité de l’entreprise ou souveraineté nationale ? De la haute voltige politique.

Source: Béatrice Mathieu

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