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C’est une petite musique qui commence à poindre. Si Jordan Bardella devenait Premier ministre après les législatives, le RN connaitrait l’expérience du pouvoir, mais Emmanuel Macron pourrait jouer les garde-fous comme président de la République. Empêcher certaines dérives, certains excès. Voire. En 1978, dans son fameux discours de Verdun-sur-le-Doubs, Valéry Giscard d’Estaing avait prévenu que la Constitution ne lui donnait pas “les moyens de s’opposer” à l’application du programme de la gauche si celle-ci l’emportait. En 1986, confronté à une majorité hostile à l’Assemblée nationale, François Mitterrand indique : “Beaucoup de nos concitoyens se posent la question de savoir comment fonctionneront les pouvoirs publics. À cette question, je ne connais qu’une réponse, la seule possible, la seule raisonnable, la seule conforme aux intérêts de la nation : la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution”.

Mais notre loi fondamentale n’est pas toujours limpide, qui n’a jamais été conçue dans l’hypothèse d’une dyarchie au sommet de l’Etat. Le président de la République dispose de pouvoirs propres, qu’il exerce seul : il nomme le Premier ministre, soumet un projet de loi au référendum, dissout l’Assemblée nationale, exerce les pouvoirs exceptionnels en cas d’article 16, saisit le Conseil constitutionnel d’une loi ou d’un engagement international de la France, nomme trois des membres du Conseil Constitutionnel ainsi que le président (ce sera le cas en 2025). Le rôle du chef de l’État est défini par l’article 5 : “Il veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités”.

Pour le reste, ses pouvoirs sont partagés, donc soumis au contreseing du Premier ministre. L’article 20 prévoit par ailleurs que c’est le gouvernement, et non le président, qui “détermine et conduit la politique de la nation”. Il reste au président le pouvoir tribunitien, qui dépend beaucoup de la force politique dont il dispose.

Bardella à Matignon et le choix des ministres

Le président décide théoriquement seul du nom de son Premier ministre. Mais dès lors que le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale, il a vocation à nommer une personnalité qui dispose de l’appui de la majorité à l’Assemblée nationale. Il ne peut juridiquement pas se faire imposer un nom. Mitterrand avait sondé la possibilité de choisir Jacques Chaban Delmas ou Valéry Giscard d’Estaing en 1986 pour montrer sa liberté. Comme Jacques Chirac avait verrouillé les partis de droite, son nom s’imposa. Si le RN est en position de force et veut Jordan Bardella et uniquement lui, Emmanuel Macron aura du mal à le contourner. Les choses sont un peu différentes pour le choix des ministres. C’est “sur la proposition du Premier ministre” que le président les nomme. Jusqu’à présent, en période de cohabitation, le président a pu émettre des réflexions sur le choix de deux ministres, guère plus : celui des Affaires étrangères et celui de la Défense – puisque lui est le chef des armées.

Le référendum sur l’immigration

Sans l’accord d’Emmanuel Macron, le RN ne peut pas proposer le référendum sur l’immigration qui figure dans son programme. Il le sait et commence à expliquer qu’il abandonnera cette mesure pour le moment. L’article 11, selon de nombreux juristes, ne permettrait pas d’interroger les Français sur l’immigration. Quant à un référendum constitutionnel (le RN en propose aussi), il suppose une autre condition : que l’Assemblée nationale et le Sénat s’accordent, ce qui ne sera pas le cas.

Les lois

“Lorsque le Parlement vote une loi, je deviens un notaire et quand dans le délai qui m’est imparti, je dois signer, je signe, sans quoi je serais en situation de forfaiture. C’est la volonté du Parlement qui s’impose” : François Mitterrand avait été très clair. De fait, le RN ne pourra pas être empêché sur le terrain législatif. En revanche, Emmanuel Macron peut saisir le Conseil constitutionnel avant promulgation de chaque loi. L’ordre du jour du Parlement dépend d’une gymnastique un peu particulière : le président peut avoir son mot à dire sur celui d’une session extraordinaire, puisque c’est lui qui la convoque.

Les ordonnances

C’est un point très épineux. Le RN propose d’y recourir, par exemple sur l’immigration. Si une ordonnance passe en conseil des ministres, elle doit être signée par le président et rien ne l’y oblige. Il peut exiger du gouvernement qu’il procède plutôt par un projet de loi ordinaire.

Les décrets

Ils sont indispensables au bon fonctionnement des institutions et ont fait l’objet d’une décision importante du conseil d’Etat en 1992, avec l’arrêt Meyet. Tout décret qui passe en conseil des ministres doit être signé par le président de la République.

Les nominations des préfets, des recteurs…

Là encore, toute nomination qui passe en conseil des ministres (c’est le cas chaque semaine, à un rythme soutenu, qu’il s’agisse de préfets, de recteurs, de directeurs d’administration centrale etc), nécessite un contreseing présidentiel. “Rien n’empêcherait Emmanuel Macron de dire que certaines nominations affectent la neutralité du service public”, pointe le constitutionnaliste Denys de Béchillon. En 1993, François Mitterrand avait expliqué : “Quand elles relèvent vraiment d’une façon stricte de la volonté du gouvernement qui a besoin d’avoir auprès de lui les hauts fonctionnaires de son choix, je laisse le gouvernement me faire les propositions qu’il souhaite. Lorsqu’il s’agit de postes qui intéressent le pays et mon autorité, j’interviens, et lorsqu’il s’agit de changer un homme pour un autre sans qu’il y ait de raisons évidentes, je le fais observer.”

Réserver les allocations sociales aux Français

Jordan Bardella a répété ce 11 juin sa volonté d’appliquer cette mesure phare de son programme. La réalisation peut se révéler complexe en période de cohabitation. Si le RN agit par un projet de loi, Emmanuel Macron peut saisir le Conseil constitutionnel avant de promulguer le texte – lequel Conseil a rappelé récemment que l’exclusion des personnes en situation irrégulière du bénéfice de l’aide juridictionnelle créait une rupture d’égalité et était ainsi contraire à la Constitution. Si le RN veut contourner l’interprétation du Conseil, il doit modifier la Constitution. S’il agit par décret, il doit obtenir la signature présidentielle.

L’Europe

C’est un terrain qui se révélerait hautement conflictuel. Dans les cohabitations précédentes, l’Europe restait un sujet (plus ou moins) consensuel entre la droite et la gauche. Ce ne serait plus le cas. Exemple : le lancement du processus d’adhésion de l’Ukraine. Emmanuel Macron y est favorable, Jordan Bardella y est opposé. Mais au conseil européen, il ne peut exister qu’une voix de la France. Cela suppose que le président et le Premier ministre s’accordent sur une position commune, par exemple s’il s’agit de considérer un traité européen.

Autre cas intéressant : le RN réclame de sortir des règles européennes de tarification de l’électricité, évoquant l’exemple du Portugal et de l’Espagne. Les dérogations obtenues par ces pays résultent de négociations entre la commission européenne et les gouvernements – Emmanuel Macron aurait alors son mot à dire.

L’Ukraine

Les tensions peuvent être maximales sur ce sujet qui mêlent décisions diplomatiques et militaires. Emmanuel Macron pourrait-il envoyer des Mirage, comme il l’a dit, avec un gouvernement dirigé par le RN ? La question des ventes d’armes (ou des dons d’avions) répond aussi à des considérations budgétaires.

Le sujet des opérations extérieures est aussi complexe. La décision d’engagement des armées est prise par le président de la République en Conseil de défense sur le fondement des prérogatives qu’il tient de l’article 15 de la Constitution et de l’article 5, alinéa 2, qui fait de lui le “garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités”. Mais la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a renforcé le contrôle parlementaire. Si l’intervention extérieure se prolonge au-delà de quatre mois, le gouvernement soumet cette prolongation à l’autorisation du Parlement.

Source: Eric Mandonnet

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