Certains parlementaires fédéraux ne comprennent pas le silence de Berne au sujet de la CPI après la demande de mandats d’arrêt du procureur général contre le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant. Le Conseil fédéral doit répondre à leurs interrogations ce lundi

La Suisse, qui a fait de la défense du droit international et plus spécifiquement de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, son cheval de bataille depuis sa création, est soudain bien discrète. Après l’annonce de la requête, par le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) Karim Khan, de mandats d’arrêt contre trois dirigeants du Hamas, Ismaïl Haniyeh, Mohammed Deif et Yahya Sinouar, et contre le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, le Conseil fédéral et le Département fédéral des affaires étrangères se sont murés dans le silence, se contentant d’affirmer qu’ils ne commentent pas une procédure en cours.

Dans la même logique que l’abstention de la Confédération lors du vote du Conseil de sécurité sur l’adhésion de la Palestine comme Etat membre à l’ONU en avril, Berne ne pipe mot.

### Silence incompréhensible

Du moins jusqu’à ce lundi. Le gouvernement fédéral doit répondre aux questions de plusieurs parlementaires sur son extrême discrétion sur le sujet. A commencer par le conseiller national vert genevois Nicolas Walder: «Le Conseil fédéral a jusqu’ici toujours apporté un soutien indéfectible à la CPI. Là, son silence est incompréhensible. La Suisse aurait pu réitérer son soutien à la CPI, ce, d’autant que cette dernière fait l’objet de violentes attaques.» Israël et son premier ministre, Benyamin Netanyahou, ont dénoncé les «accusations folles» de l’institution de La Haye et qualifié le procureur général Karim Khan «d’antisémite». Les Etats-Unis ont eux-mêmes jugé scandaleux les mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens et l’administration de Joe Biden pourrait approuver un projet de sanctions échafaudé par les républicains du Congrès.

«La Suisse aurait pu faire comme la France. Sans se prononcer sur les mandats d’arrêt, elle aurait pu soutenir la CPI et son indépendance. Elle base sa politique étrangère sur la promotion de la paix. Celle-ci passe par la défense du droit international et la justice. C’est précisément ce que fait la Cour pénale internationale», précise Nicolas Walder. D’autres pays européens ont publiquement appuyé la CPI. La Confédération ne s’est pas non plus exprimée sur le mandat d’arrêt de la CPI contre le président russe, Vladimir Poutine. «Oui, mais l’approbation de ces mandats était très large et les attaques contre la CPI ne sont venues que de la Russie», ajoute le conseiller national.

### L’épisode de l’UNRWA

Après la défiance de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats envers la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) selon laquelle la Suisse a violé le droit à la protection du climat, Nicolas Walder le déplore: «En Suisse, on commence à sentir de moins en moins de soutien pour les institutions multilatérales.» Il rappelle l’épisode avec l’UNRWA, l’agence onusienne d’aide aux Palestiniens dirigée par le Suisse Philippe Lazzarini, où Berne semble plutôt vouloir lui couper les vivres bien qu’une aide fédérale de 10 millions de francs lui ait encore été octroyée au lieu des 20 millions prévus.

Le conseiller national Philippe Nantermod ne partage pas cette vision des choses: «La Suisse n’a pas à réaffirmer sans cesse son soutien à la CPI. Elle est un Etat partie au Statut de Rome, c’est suffisamment clair.» Et le PLR valaisan d’ajouter: «La requête pour émettre des mandats d’arrêt contre le premier ministre Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense Yoav Gallant est très politique. La CPI ne tient pas compte du principe de subsidiarité (complémentarité). Or Israël a un système judiciaire qui fonctionne. Parfois, les institutions internationales n’agissent pas selon les objectifs pour lesquels elles ont été créées.»

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Contrairement à Nicolas Walder, Philippe Nantermod pense que certaines institutions internationales vont parfois trop loin: «Comme la décision de la CourEDH qui prétend que la Suisse a violé le droit à la protection du climat, il faut faire attention avec les institutions internationales que je soutiens, mais qui ne sont pas infaillibles. Leurs décisions ne reposent pas sur un outil démocratique comme un parlement national. Dans le cas de la CourEDH, il n’y a pas de droit à un environnement sain.» L’élu valaisan met en garde: «ces juges se sont placés au-dessus des législateurs nationaux, et même du peuple souverain. C’est très dangereux.»

### Arrestations futures?

Conseiller national UDC, Franz Grüter estime que la Suisse a commis une erreur de signer le Statut de Rome instituant la CPI en 1998 et de le ratifier en 2001. «En l’occurrence, la CPI n’aurait dû intervenir que si le système judiciaire du pays concerné dysfonctionne comme dans une dictature. Ce n’est pas le cas avec Israël. Quant à la Suisse, elle aurait dû dire publiquement que la CPI devait laisser la justice interne israélienne s’occuper de l’affaire.» Si les mandats d’arrêt contre Netanyahou et Gallant devaient être confirmés, la Suisse les arrêterait-elle en cas de séjour sur sol helvétique? Nicolas Walder exige une réponse claire du Conseil fédéral.

Contacté par _Le Temps_, le DFAE n’a pas pu répondre avant la publication de cet article. Les hésitations du gouvernement suisse à soutenir publiquement la CPI dans le cadre de la guerre entre Israël et le Hamas étonnent si l’on prend en compte l’implication historique de la Confédération dans les travaux ayant mené à la création de la CPI en 1998 et à son entrée en fonction en 2002. Pour Berne à l’époque, il était impératif de disposer d’un mécanisme efficace de mise en œuvre des Conventions de Genève. Celles-ci étaient menacées de dilution, notamment par des pays comme les Etats-Unis.

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En 1998 à Rome, la Suisse a une large délégation. Elle est fortement impliquée, avec le CICR, dans la définition des crimes de guerre insérée dans l’article 8 du Statut de Rome. Sous l’égide du Canadien Philippe Kirsch, qui deviendra le premier président de la CPI, les délégués suisses se voient contraints de siéger avec leurs homologues américains pour aboutir à un texte acceptable pour tous. Après plusieurs sessions de trois semaines, ils parviennent à produire un texte solide. Cent vingt Etats approuvent le statut, 7 y sont opposés et 21 s’abstiennent. La Suisse a laissé une forte impression.

Source: Stéphane Bussard

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